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«La régulation de la téléphonie mobile nécessite des compétences pointues» Nasreddine Lezzar. Avocat d'affaires et praticien en arbitrage international



«La régulation de la téléphonie mobile nécessite des compétences pointues»                                    Nasreddine Lezzar. Avocat d'affaires et praticien en arbitrage international
-Deux opérateurs au moins, Mobilis et Nedjma, ont souhaité l'intervention de l'ARPT (organisme de régulation) pour rééquilibrer le marché de téléphonie mobile, mettant en cause la position dominante d'Orascom Télécom Algerie (Djezzy), quelle lecture pouvez-vous en faire et que prévoit la loi en cas de position dominante et/ou de monopole '
Les communiqués des deux parties (entreprises de téléphonie et Autorité de régulation) me semblent manquer de précision. Les deux protagonistes parlent de façon abstraite et à mots couverts de problèmes que l'on sent pourtant réels et concrets. Le rôle du régulateur, tel qu'il est défini par la loi, est celui de veiller à l'existence d'une concurrence effective et loyale sur les marchés postaux et des télécoms, arbitrer dans les différends entre les opérateurs dans l'interconnexion ou entre opérateurs et clients. Ce rôle porte aussi sur l'approbation des conventions d'interconnexion entre les trois opérateurs ; évaluation de la couverture et de la qualité des services des trois opérateurs et des appels infra et inter réseaux de télécommunications d'ATM Mobilis. L'un des objectifs d'une telle mission consiste à encourager et rétablir la concurrence, assurer une transparence et une non-discrimination afin d'aider le développement du service mobile en Algérie et se rapprocher des pratiques internationales.
Ainsi, dans cette guerre de communiqués à termes voilés et obscurs, une clarification des griefs et des requêtes est nécessaire. La consultation des tableaux des parts de marché établis par l'ARPT révèle qu'à la fin 2004, OTA (Djezzy) détenait 70% des parts de marché de la téléphonie mobile algérien, contre 24% pour ATM Mobilis et 6% pour WTA Nedjma. A la fin 2009, OTA détient 44,88% de parts de marché, contre 30,67% et 24,54% pour ATM Mobilis et WTA Nedjma respectivement. Nous constatons aisément qu'OTA Djezzy a su tirer profit de son expérience en se plaçant rapidement comme leader du marché de la téléphonie mobile algérien, même si l'écart de parts de marché tend à se réduire au fil du temps.
A partir d'un graphe que nous n'avons pas pu reproduire, nous constatons que les parts de marché d'OTA Djezzy et d'ATM Mobilis tendent à la diminution malgré que le nombre d'abonnés augmente. Par contre, la part de marché de WTA Nedjma ne cesse d'augmenter au fil des années. Il est difficile de soutenir, avec cela, que Djezzy domine le marché et se rend coupable de pratiques anticoncurrentielles. Il faut aussi ajouter qu'une des parties plaignantes, ATM en l'occurrence, est la seule entreprise à utiliser
' par un monopole de droit ' la convergence entre Internet et le téléphone mobile dans la gestion de sa communication devenant ainsi une véritable entreprise «Internet mobile».
-Quelle est la différence entre une position dominante, un monopole de fait et un monopole de droit '
La bonne compréhension des formules que vous présentez nécessite au préalable, si vous le permettez, une clarification de la notion de concurrence. Le terme fait allusion à une situation de compétition économique qui se caractérise par l'offre, par plusieurs entreprises distinctes et rivales, de produits ou de services qui tendent à satisfaire des besoins équivalents, avec pour les entreprises, une chance réciproque de gagner ou de perdre les faveurs de la clientèle. Le monopole est une situation de marché sur lequel un unique offreur est confronté à une demande abondante.
La position dominante est la seule notion définie par l'ordonnance n°03-03 du 19 juillet 2003 relative à la concurrence qui la définit comme suit : «La position permettant à une entreprise de détenir, sur le marché en cause, une position de puissance économique qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective, en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses clients ou fournisseurs. L'article 07 de l'ordonnance algérienne sur la concurrence interdit l'abus de position dominante ou monopolistique sur un marché ou un segment de marché lorsque cet abus a des objectifs déterminés. En somme, la loi algérienne ne prohibe pas la position dominante, mais l'abus de position dominante et plus précisément lorsque l'abus a des objectifs prohibés.
-L'existence d'un opérateur dominant peut-elle être cohérente avec un marché concurrentiel ' Pourquoi la loi sur la concurrence limite-t-elle les parts de marché à 40% '
Absolument pas ! Une domination du marché n'est pas incompatible avec un marché concurrentiel. Il suffit de laisser le libre jeu à la concurrence et permettre aux autres opérateurs de disputer à l'entreprise dominante ses parts de marché. Il faut éviter en la matière des situations où une entreprise peut garder définitivement des parts de marché et empêcher les autres de les conquérir. Concernant le taux de 40%, je dois vous préciser qu'il ne s'agit pas d'une interdiction absolue, mais d'une obligation de soumission de toute concentration susceptible d'atteindre ce taux au conseil de la concurrence. Ce dernier peut l'autoriser, l'interdire ou l'autoriser sous condition.
-Le gel du Conseil de la concurrence n'a-t-il pas faussé tout compte fait les calculs d'une meilleure régulation et lequel gel n'a-t-il pas favorisé le passage d'un monopole public à un monopole privé '
Le rôle du Conseil de la concurrence ne doit pas être confondu et empiéter sur les prérogatives de l'ARPT qui est une institution spécialisée qui doit veiller à la sauvegarde d'une concurrence effective dans le secteur des télécommunications.
La mise en veilleuse du Conseil de la concurrence, comme celle du Conseil de lutte contre la corruption, est une chose malheureuse, mais elle ne doit pas, à mon avis, être évoquée ici pour justifier une fausse incapacité juridique de l'ARPT qui jouit de pouvoirs très étendus en vertu de l'article 13 de la loi qui les énumère d'une façon assez large : «Veiller à l'existence dune concurrence effective et loyale dans le domaine des télécommunications en prenant toute mesure nécessaire afin de promouvoir et rétablir la concurrence.» L'absence de définition et de limitation des prérogatives ainsi que le caractère préventif des décisions donnent une idée sur le caractère illimité des pouvoirs conférés à cette institution. Il n'est donc nullement besoin de recourir à une autre entité pour faire régner de l'ordre dans ce secteur. Par ailleurs, le caractère hautement technique et la spécificité du secteur recommandent ou plutôt imposent la prise en charge de la concurrence et de la régulation par une institution aux compétences pointues et spécialisées.
-Croyez-vous que l'ARPT assume pleinement son rôle de régulation ' N'y a-t-il pas une espèce de passivité et pourquoi a-t-elle été exclue des négociations pour le rachat par l'Etat d'Orascom Telecom Holding, voire même pourquoi ce régulateur n'a-t-il pas eu le droit à un simple avis d'expert '
En effet, nous pouvons, ou bien nous devons, déplorer une certaine passivité ou plutôt une passivité certaine de l'ARPT qui a laissé sévir d'une façon incompréhensible et intolérable la violation du cahier des charges et de lois lors de la cession de Djezzy à WimpelCom. Son silence est une complicité passive dans un complot antinational. Elle avait, en la matière, un pouvoir de sanction, par un retrait de la licence.
Sa faillite dans sa mission régulatrice et «sanctionatrice» risque de coûter des milliards au Trésor public, si la transaction odieuse du rachat de Djezzy par l'Etat algérien aboutit. Cette affaire a été banalisée, oubliée pour mieux être exécutée ! Quelque part, en cours de maturation dans les méandres des pratiques innommables menées, gérées, couvertes et cautionnées par des groupes antinationaux. Dans cette affaire, l'ARPT n'a pas uniquement droit à un simple avis consultatif, mais elle dispose, selon la loi, d'un pouvoir décisionnel. L'absence du «droit à un simple avis d'expert» lui laisse ce qui lui reste de bonne conscience.
Le drame ou plutôt les drames de ce pays proviennent du fait que les prérogatives sont soustraites à leurs véritables dépositaires et attribuées à des zones occultes.


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