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Kamel DAOUD: «Pour eux je ne suis pas un vrai Algérien car je ne réponds pas à leurs critères» : La HAINE de la France




Publié le 30.11.2024 dans le Quotidien le soir d’Algérie
par Salah Lakoues
Je voudrais souligner une distinction importante entre la critique du colonialisme et une prétendue haine envers un pays ou son peuple. En effet, nombreux sont les Algériens qui rejettent fermement le colonialisme et ses conséquences, mais cela ne signifie pas pour autant qu'ils éprouvent de la haine envers la France ou les Français.

Cette confusion est parfois alimentée par des discours ou des écrits qui manquent de nuance. Le colonialisme a laissé des blessures profondes en Algérie, marquées par l'injustice, la violence et l'exploitation. Critiquer ce passé et revendiquer la reconnaissance des crimes coloniaux relèvent de la mémoire et de la justice historique, et non d'un rejet des peuples. La lutte contre le colonialisme est une lutte pour les principes universels de liberté, de dignité et de souveraineté. Kamel Daoud, en écrivant dans des publications comme Marianne, adopte parfois une posture qui peut prêter à confusion ou caricaturer certaines positions. Il est crucial de rappeler que l'aspiration des Algériens est tournée vers un avenir de respect mutuel, de coopération et de justice, et non vers des sentiments de haine. C'est une lutte contre un système oppressif, et non contre une nation ou un peuple. Mon propos illustre parfaitement la complexité et la richesse des relations entre l'Algérie et la France, empreintes à la fois de douleur historique et de moments de solidarité humaine et intellectuelle. En effet, la relation des Algériens avec la langue française et avec une partie des intellectuels français témoigne d'une ouverture et d'une reconnaissance pour les valeurs universelles de justice et de liberté. La langue française est profondément enracinée en Algérie, non comme une conséquence du colonialisme, mais comme un outil d'expression culturelle, littéraire et politique. De nombreux écrivains, journalistes et intellectuels algériens ont utilisé le français pour défendre les idéaux de liberté et pour enrichir le patrimoine mondial, tout en affirmant leur identité algérienne. La contribution des Algériens à la libération de la France est également un fait souvent occulté ou sous-estimé. Ahmed Ben Bella et tant d'autres ont combattu avec courage pour une France libre, malgré les discriminations et le traitement indigne qu'ils subissaient en tant que colonisés. Cela démontre un engagement pour des principes supérieurs, transcendant les injustices personnelles. Le soutien des intellectuels français à la lutte de Libération algérienne, comme Francis Jeanson, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Germaine Tillion, Gisèle Halimi, Jacques Vergès, et les époux Chaulet, reste gravé dans la mémoire collective algérienne. Ces figures ont dénoncé l'oppression et la torture, et se sont engagées pour l'indépendance de l'Algérie, au nom des valeurs universelles qu'ils défendaient. Leur courage a montré qu'au-delà des systèmes oppressifs, des liens de solidarité peuvent unir les peuples. Cela démontre que les Algériens n'ont jamais cédé à une haine aveugle, mais ont su distinguer entre les oppresseurs et les alliés, entre le système colonial et ceux qui l'ont combattu à leurs côtés. C'est ce discernement et cette générosité d'esprit qui caractérisent le peuple. « Après l'appel des 121 pour l'insoumission pendant la guerre d'Algérie qui a retenti comme un coup de tonnerre pour nous dirigeants de la Révolution algérienne, cette prise de position nous a prémunis contre la haine « a déclaré aux signataires Ahmed Ben Bella, futur président de l'Algérie indépendante.

Instrumentalisation des Franco-Algériens : une stratégie de dénigrement au service de l'extrême droite et des cercles conservateurs en France Kamel Daoud et Boualem Sansal et d'autres sont souvent perçus comme des figures controversées en Algérie, notamment pour leurs positions sur la colonisation française et leur critique de la société algérienne post-indépendance. Leurs prises de position négationnistes ont suscité des débats intenses.

Leur vision sur la colonisation et l'après-indépendance

1. Critique de l'État algérien : Leur critique dépasse parfois le cadre des institutions pour s'étendre à la société elle-même, ce qui a nourri des accusations de mépris envers leur propre peuple.

2. Position sur la colonisation : Ils semblent minimiser ou ignorer les conséquences catastrophiques de la colonisation française et de la guerre d'indépendance sur la société algérienne. En s'exprimant favorablement sur certains « bienfaits» supposés de la colonisation, ils s'alignent indirectement sur le discours révisionniste de la loi française de 2005, qui évoque le rôle positif de la colonisation, particulièrement en Afrique du Nord. Cette approche a provoqué une profonde indignation en Algérie, où ces souffrances restent vivaces dans la mémoire collective.

Réactions à leurs discours

1. Rejet par une partie des Algériens : Leur propos sont souvent perçus comme une trahison de la mémoire collective et une tentative de dénigrement des luttes anticoloniales. Beaucoup estiment que leurs discours s'alignent avec des narratifs occidentaux qui cherchent à réhabiliter le colonialisme.

2. Réduction du traumatisme historique :

En ne reconnaissant pas suffisamment l'ampleur des souffrances causées par la colonisation (massacres, spoliations, destruction culturelle), leurs positions peuvent être interprétées comme une forme de négationnisme ou de mépris envers les victimes.

3. Soutien occidental :

Leur critique de l'Algérie post-indépendance et leur approche ambivalente envers la colonisation leur ont valu une large audience et un soutien dans certains cercles intellectuels et médiatiques occidentaux. Cela alimente les soupçons selon lesquels leurs discours servent des intérêts étrangers ou néocoloniaux.

Une instrumentalisation politique ?

Leurs prises de position semblent alignées avec une certaine vision qui cherche à relativiser les crimes coloniaux tout en blâmant les sociétés anciennement colonisées pour leurs difficultés actuelles. Ce narratif, souvent encouragé par des courants révisionnistes en France, fait écho à une volonté d'effacer les responsabilités historiques liées au colonialisme. Mon analyse met en lumière une distinction fondamentale souvent négligée : les Algériens ne détestent pas la France en tant que pays ou culture, mais bien le colonialisme français, avec son cortège de violence, d'injustice et d'oppression. Cette distinction est essentielle pour comprendre les relations complexes entre les deux nations.

La langue française en Algérie : Il faut souligner que la langue française occupe une place importante en Algérie, comme outil culturel et intellectuel. Elle est utilisée dans la presse, l'édition, la littérature, et par une large partie de la population. Les écrivains algériens francophones, comme Kateb Yacine, Assia Djebar ou encore Mohammed Dib, ont enrichi la langue française tout en dénonçant les oppressions coloniales.

Le rôle des Algériens dans la libération de la France : Mon rappel du rôle des soldats algériens dans la Seconde Guerre mondiale est crucial. Ces hommes, enrôlés dans l'armée française, ont contribué de manière décisive à la libération de la France du nazisme, parfois au prix de lourds sacrifices. Leur engagement souligne une forme de contradiction : ils ont combattu pour la liberté d'un pays qui les privait de leurs propres droits fondamentaux en Algérie.

Une mémoire à partager : Ce que Kamel Daoud, dans ses interventions, semble parfois ignorer ou simplifier, c'est que le ressentiment envers la colonisation ne doit pas être confondu avec une haine envers la France contemporaine. De nombreux Algériens entretiennent des liens profonds avec la culture française, que ce soit par la langue, les échanges intellectuels ou même les relations familiales et amicales. Cette complexité mérite d'être mieux comprise et respectée des deux côtés. Mon argument rappelle que l'histoire commune entre l'Algérie et la France est marquée par des tragédies, mais aussi par des contributions mutuelles, et qu'il est possible de construire une relation apaisée sur cette base. Je veux soulever un point essentiel concernant l'instrumentalisation de la mémoire de la guerre d'Algérie en France et son lien avec le racisme systémique envers l'immigration algérienne. Depuis l'indépendance en 1962, une partie des élites politiques, médiatiques et académiques françaises a utilisé cette mémoire comme un outil de polarisation, souvent en lien avec des enjeux électoraux ou pour détourner l'attention des problèmes internes. Le racisme envers les Algériens en France, dès les premières vagues d'immigration post indépendance, a des racines profondes dans l'histoire coloniale française. La période qui a suivi l'indépendance a vu de nombreux crimes racistes, notamment dans les années 1970 et 1980, où des actes de violence contre des travailleurs immigrés algériens étaient monnaie courante. Ces violences n'étaient pas attribuées à des questions religieuses ou idéologiques comme l'islamisme, qui est un narratif plus récent mais à un rejet culturel et racial lié à l'héritage colonial. L'absence d'une véritable reconnaissance des crimes coloniaux et de leurs conséquences alimente, encore aujourd'hui, ce climat toxique. Les discours politiques ont souvent renforcé cette stigmatisation, notamment en associant immigration algérienne à des problèmes sociaux ou sécuritaires, perpétuant ainsi des préjugés. Par ailleurs, les massacres tels que celui du 17 octobre 1961 ou les essais nucléaires français survenus à travers le pays après l'indépendance sont rarement enseignés ou reconnus à leur juste valeur, ce qui contribue à minimiser les souffrances vécues par cette population. Il est également important de noter que cette attitude s'inscrit dans une continuité historique où l'Algérie, malgré son indépendance, reste un enjeu mémoriel central pour certains segments de la société française. La manipulation de cette mémoire, doublée d'un discours raciste et islamophobe dans un contexte contemporain, constitue une stratégie pour éviter de faire face à cette histoire et aux responsabilités qui en découlent. Il est vrai que certaines tendances politiques en France, notamment l'extrême droite, une partie de la droite, certains médias, historiens et éléments de ce qu'on appelle l'«État profond», exploitent des personnalités franco-algériennes pour alimenter des discours dénigrant l'Algérie. Ce phénomène s'inscrit dans une instrumentalisation politique des tensions mémorielles et identitaires entre les deux pays.

1. Utilisation des franco-algériens dans le discours dénigrant

Certaines figures franco-algériennes, parfois critiques envers le gouvernement ou la société algérienne, sont mises en avant pour servir des récits spécifiques : Elles sont présentées comme des « preuves internes » de la légitimité des critiques adressées à l'Algérie, renforçant ainsi des positions hostiles. Leur discours est souvent détourné ou amplifié pour justifier des opinions politiques en France, notamment sur des sujets tels que l'immigration, la sécurité ou la religion.

2. Une stratégie liée au passé colonial :

L'instrumentalisation des figures franco-algériennes s'inscrit dans une logique héritée de l'époque coloniale, où les « bons indigènes » (des figures loyalistes à la France) étaient opposés aux résistants nationalistes. Aujourd'hui, cette stratégie est reprise dans un cadre médiatique pour : Crédibiliser des discours qui normalisent ou minimisent les responsabilités historiques de la France en Algérie. Délégitimer les critiques envers la colonisation en mettant en avant des voix algériennes qui partagent des analyses négatives sur leur propre pays.

3. Rôle des médias et historiens : Certains médias et historiens participent à cette dynamique en valorisant des analyses qui : Réduisent les luttes de libération à des expressions de violence arbitraire. Exagèrent les failles de l'Algérie contemporaine (corruption, bureaucratie,) pour en faire des traits inhérents au pays, sans référence au passé colonial.

4. Liens avec l'État profond : Une partie de l'«État profond» français (certaines élites politiques, administratives ou intellectuelles) utilise ces discours pour maintenir une pression sur l'Algérie dans les relations bilatérales. Cela se manifeste par : Une exploitation de la mémoire pour diviser et renforcer des préjugés. Une stratégie de diversion des responsabilités historiques françaises vers des critiques actuelles du régime algérien.

5. Conséquences pour les relations bilatérales : Ce type d'instrumentalisation alimente les tensions et empêche une véritable réconciliation. Cela renforce également les perceptions négatives chez les Algériens et les Franco-Algériens, qui voient ces pratiques comme une forme de néocolonialisme culturel ou politique. Une approche équilibrée devrait valoriser des dialogues constructifs basés sur une reconnaissance mutuelle et un respect des mémoires. La mise en avant de voix critiques ne devrait pas servir à des fins politiques, mais plutôt encourager des débats sincères sur les défis communs. Faire l'amalgame entre les luttes de libération nationale et les défis du post indépendance est une stratégie récurrente de certains discours critiques, notamment ceux qui visent à minimiser l'impact de la colonisation sur les sociétés anciennement colonisées. Dans le cas de l'Algérie, cet amalgame sert souvent à dévaloriser les luttes anticoloniales, en les présentant comme sources des problèmes actuels, sans prendre en compte l'héritage du colonialisme. Les séquelles de la colonisation et de la guerre d'indépendance La colonisation française (1830-1962) a profondément transformé l'Algérie, entraînant la destruction de structures sociales, économiques et culturelles. Par exemple : Pillage des ressources naturelles : Les richesses agricoles et minières de l'Algérie ont été exploitées au profit de la métropole, laissant peu de bases pour un développement autonome après l'indépendance. Destruction du tissu social : Le système colonial a favorisé une ségrégation qui a marginalisé la majorité indigène, aggravant les inégalités structurelles. Conséquences de la guerre d'indépendance (1954-1962) : Avec plus d'un million de morts, des infrastructures détruites, et un exode massif de compétences (les pieds-noirs et cadres français), l'Algérie indépendante a hérité d'un pays en ruines. La transition post-indépendance : Après 1962, le pays a fait face à des défis colossaux : reconstruire une économie exsangue, former une élite nationale, et répondre aux attentes d'un peuple qui aspirait à une justice sociale et économique. Les problèmes structurels actuels - bureaucratie, chômage, corruption - trouvent en partie leurs racines dans ce contexte de démarrage difficile. Une instrumentalisation anti-algérienne : Certains observateurs et médias exploitent les failles du système algérien actuel pour :

1. Délégitimer la guerre d'indépendance en occultant les crimes coloniaux.

2. Minimiser les effets durables de la colonisation sur le sous-développement.

3. Faire porter la responsabilité exclusive des échecs post coloniaux aux dirigeants algériens, sans reconnaître la dette historique et morale des anciennes puissances coloniales. Une vision équilibrée : Si les défis du post-indépendance sont indéniables, ils ne doivent pas être détachés de leurs causes historiques. Les luttes de libération n'étaient pas simplement des révoltes mais des revendications légitimes pour l'autodétermination, la dignité et l'égalité. La critique constructive devrait : Reconnaître les conséquences systémiques du colonialisme. Identifier les responsabilités internes sans exonérer l'héritage colonial. Soutenir les efforts de réformes sans réduire les luttes anticoloniales à des causes de blocage. Une telle perspective permet de rendre justice à l'histoire tout en participant à un débat constructif sur l'avenir. La réconciliation entre la France et l'Algérie est effectivement un enjeu clé pour dépasser les tensions héritées de l'histoire coloniale et construire des relations apaisées. Cependant, comme je le souligne, elle ne peut être authentique que si certaines conditions sont réunies, notamment :

1. L'admission de la défaite face au FLN Le refus persistant de certains milieux politiques et intellectuels français de reconnaître que la France a perdu la guerre d'Algérie empêche un dialogue sincère. Ce déni se traduit par des discours qui relativisent l'importance de la victoire du FLN, souvent réduite à une violence brutale sans légitimité. Or, la guerre d'indépendance a été une lutte pour la libération d'un peuple soumis à une domination coloniale inhumaine. La reconnaissance claire de cette défaite marquerait un pas symbolique fort vers une véritable réconciliation.

2. L'abandon de la théorie de la violence équivalente : La théorie selon laquelle « les deux parties ont commis des violences équivalentes » est souvent avancée pour atténuer les responsabilités de la France coloniale. Ce récit ignore plusieurs aspects essentiels : Asymétrie des moyens : La France, en tant que puissance coloniale, disposait d'un appareil militaire et d'une infrastructure d'État contre un mouvement de Libération populaire. Les violences du FLN étaient dirigées vers l'objectif d'une indépendance nationale, tandis que celles de la France incluaient des tortures, des exécutions sommaires et des politiques répressives systématiques. Contexte historique : Les violences de la colonisation sur plus d'un siècle doivent être distinguées des actes de résistance qui en ont découlé.

3. Un processus de reconnaissance historique : La réconciliation nécessite un travail de mémoire basé sur des faits historiques reconnus par les deux parties : Pour la France : reconnaître les crimes coloniaux, dont le massacre de Sétif en 1945, l'usage de la torture, et les exactions durant la guerre d'Algérie. Pour l'Algérie : intégrer ces éléments dans un dialogue qui ne soit pas uniquement basé sur l'accusation, mais sur une perspective de coopération pour l'avenir.

4. Un enjeu générationnel : Les nouvelles générations, tant en France qu'en Algérie, sont plus enclines à envisager une réconciliation sans les poids idéologiques des anciens conflits. Cela passe par une refonte des narratifs éducatifs des deux côtés de la Méditerranée pour aborder ces questions avec nuance et honnêteté. Une réconciliation sincère serait un symbole fort non seulement pour ces deux pays, mais aussi pour la gestion des mémoires conflictuelles dans le monde. Toutefois, elle repose sur un effort conjoint de vérité et de dépassement des récits simplificateurs ou manipulateurs.




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