Publié le 07.10.2024 dans le Quotidien l’Expression
Jacques-Marie Bourget, après avoir collaboré à la Nouvelle Revue Française, alors dirigée par Jean Paulhan, a aussi couvert, entre autres événements, la guerre des Six Jours, la guerre du Viêt Nam, la guerre du Liban, la guerre au Salvador, la première et la seconde Intifada, la première guerre du Golfe, la guerre de l'ex-Yougoslavie. En 1986, il a obtenu le prix Scoop pour avoir révélé l'affaire Greenpeace. Le 21 octobre 2000, à Ramallah, en Cisjordanie, il est grièvement blessé par une balle de M16 tirée par l'armée israélienne. Dans cet entretien, il apporte son expérience en disséquant la situation qui prévaut au Proche-Orient et les enjeux qui s'y esquissent en général.
L'Expression: L'opération Al-Aqsa du mouvement de résistance palestinienne Hamas du 7 octobre 2023 a changé complètement la donne au niveau international, en général, et au niveau du Moyen-Orient, en particulier. Quel bilan peut-on faire de cette opération de grande envergure?
Jacques-Marie Bourget: L'opération de libération de la Palestine, lancée par le Hamas et d'autres alliés comme le Front populaire de libération de la Palestine, est une première depuis 1974. Alors, d'une façon militaire, Arafat, Abu Jihad et les combattants du Fatah avaient affronté l'armée israélienne. Depuis, il y a eu des accrochages, des attentats, des batailles de pierres, mais jamais de conflit armé. C'est donc le renouveau de la lutte de libération. Elle est parfaitement légitime puisque tout peuple occupé a le droit de défendre sa terre. Au plan international, c'est un énorme choc qui va entraîner la visibilité de pays et de citoyens du monde soutenant cette guerre de libération qui, à mon sens, ne s'arrêtera jamais tant que justice ne sera pas faite à la Palestine. Le bilan humain, un génocide, est catastrophique comme le bilan social et matériel puisque 70% des immeubles de Ghaza ont été touchés. Néanmoins, les Palestiniens, sans aide ou presque, montrent un courage et une volonté encore plus forts que d'ordinaire. Ils attendent leur heure sachant que l'histoire les fera vainqueurs.
Nous sommes donc dans un des plus grands drames de l'histoire contemporaine, entre celui que l'on veut détruite et celui qui suicide son avenir en commettant l'irréparable. Ainsi, l'Iran, que l'Occident décrit comme faible et fragile, a démontré qu'il peut atteindre des cibles militaires en Israël, et s'il le souhaite, tout type d'objectif. La menace de la bombe atomique israélienne ne fait plus peur. Ou les sionistes font la paix, ou leur vie en Palestine va devenir intenable. Intenable au plan de la sécurité et de l'économie, la seule nuit de la dernière offensive iranienne a coûté un milliard de dollars en investissement de défense anti-aérienne.
Par ailleurs, «la guerre contre le Hamas», les sionistes l'ont perdue, ce qui, finalement, l'armée israélienne, face à la détermination, n'est plus la maîtresse au Moyen-Orient.
L'Occident s'est manifesté d'une manière désolante et criminelle en soutenant le génocide de l'entité sioniste. Ne pensez-vous pas que si ce n'est la complicité des États-Unis et leurs alliés, l'armée sioniste n'aurait pas pu faire ces crimes sans qu'elle en soit dissuadée?
Il est évident que l'«Occident», mis à part l'Irlande, la Belgique et l'Espagne, s'est conduit de façon honteuse, faisant payer la note d'un Holocauste dont il est coupable aux peuples de Palestine et du Liban qui n'y sont pour rien. Certes, l'alliance, jamais aussi forte, même sous Sharon, qui lie Israël aux Etats-Unis rend toute intervention difficile. Mais contre Israël ou l'Amérique, il était possible de prendre des sanctions, d'entraver les routes du commerce, de lancer une offensive médiatique de peuples indignés. Mais tout a été étouffé, les protestations criminalisées, la CPI, chargée de mettre en examen les barbares du gang Netanyahu, continue de dormir alors que le cas Poutine a été réglé en trois semaines. Cette lâcheté, particulièrement en France où certains continuent de se venger de la défaite en Algérie, via le cas de Palestine, la faiblesse de la protestation restera une tache.
La désinformation a eu sa part de lion dont les médias occidentaux ont bel et bien choisi leur camp. Comment analysez-vous cette politique de deux poids et de deux mesures?
Avec une presse mourante, plus guère habituée à informer, la désinformation est une pratique courante. Au mieux, on tait les faits importants; au pire, on invente de fausses vérités. Il faut savoir que l'émission de France 2 «Compléments d'enquête» a commandé un reportage sur le Hamas à la femme du colonel porte-parole de l'armée génocidaire!
Le sommet du mensonge a été atteint dès le 7 octobre quand, mobilisant son service de propagande avec une grande rapidité, les sionistes ont donné une version fausse et apocalyptique de l'attaque palestinienne, enfants dans les fours, viols etc. Bien sûr que des civils ont été tués, et c'en est un crime de guerre, bien sûr que des otages ont été enlevés. Mais je sais qu'au moins 9 000 Palestiniens sont, pour certains depuis des années, les otages de l'armée sioniste. Mais ceux-là ne comptent pas.
Sommes-nous sur la voie d'une guerre totale?
Je ne crois pas quand on voit avec quelles précautions les Américains tentent d'épargner les champs de pétrole d'Iran. N'oublions pas que c'est l'argent qui compte «first» et, ici, on ne joue plus. Il peut y avoir une guerre régionale qui perdure. Les sionistes étant dans une nasse, sans perspective, ils ne voient qu'une fuite en avant pas la guerre, mais sans autre solution. Ils devront bien cesser un jour.
Le mouvement de résistance Hezbollah vit une situation des plus dramatiques de son histoire. Assistons-nous à un retour au premier carré du conflit au Liban étant donné que l'armée sioniste est déterminée à envahir le Liban?
Le Hezbollah a subi des pertes importantes en raison de son imprudence. Il n'a pas été capable de totalement dissocier sa branche politique de sa branche militaire qui, elle, devait rester clandestine. Son exposition dans la société libanaise lui a été néfaste comme sa porosité aux agents de Mossad et à la corruption. Je pense qu'une restructuration va s'imposer et que les combattants vont retrouver l'ombre. Des combattants qui, sans DCA, ni avions ne peuvent rien contre les attaques aériennes. Mais qui, au sol, entraînés en Syrie, sont redoutables. Ils l'ont montré en interdisant aux soldats sionistes de pénétrer au Liban.
À quoi sert l'ONU alors qu'elle n'arrive pas à imposer un cessez-le-feu?
De Gaulle, à propos de l'ONU, avait parlé de «machin». Nous en sommes toujours là. L'ONU ne sert qu'à sanctionner les faibles et à distribuer des caisses de biscuits aux réfugiés.
C'est effrayant de voir Israël, pays créé par décision de l'ONU (à une voix près achetée par les États-Unis), devenir le pire ennemi de son inventeur. Je croix que la montée de Brics, la silencieuse puissance chinoise qui monte vont finir par avoir raison de l'impérialisme et du néocolonialisme américain qui devra revoir son esprit de conquistador à la baisse.
Hocine NEFFAH
Posté Le : 09/10/2024
Posté par : rachids