Alger - Revue de Presse

Imene Bensitouah, écrivaine, à L’Expression «L’écriture m’a libérée»



Publié le 13.10.2024 dans le Quotidien l’Expression

Imene Bensitouah a publié deux recueils de poésie et un roman en langue française ainsi qu'un récit en langue arabe. Elle est née et a vécu à Boumerdès puis à Alger avant d'enseigner en Turquie pendant huit ans. Actuellement, elle vit en Asie du Sud.
L'Expression: Est-ce que vous pouvez vous présenter à nos lecteurs?

Imene Bensitouah: Je suis une jeune écrivaine algérienne originaire du village de Tellys, dans la commune de Chaâbet El Ameur, wilaya de Boumerdès. Diplômée en langue et littérature françaises de l'université d'Alger 2, j'ai enseigné pendant trois ans en Algérie avant de partir à la découverte d'autres horizons. Mon insatiable soif de connaissances et de nouvelles cultures m'a conduite à parcourir l'Europe et à m'installer en Turquie, où j'ai exercé en tant que professeure et traductrice pendant huit ans. Cette expérience enrichissante a été le terreau fertile de ma vocation d'écrivaine.

Qu'en est-il de votre parcours d'écrivaine?

J'ai débuté par deux recueils de poésie en français: Un esprit loup me hante et Les funérailles des tourments». Par la suite, poussée par mon amour pour la langue arabe, je me suis tournée vers la prose avec Les Ponts de l'oubli. Récemment j'ai publié mon roman Papillon, tu étais chrysalide. Passionnée par la littérature et les arts, je souhaite poursuivre mon chemin et contribuer à l'enrichissement de la scène littéraire algérienne.

Comment est née votre passion pour l'écriture et la littérature? Est-ce votre formation qui en est à l'origine ou bien remonte-t-elle à votre enfance ou adolescence?

Mon amour pour la littérature et l'art en général remonte à mon enfance. Je me souviens très bien comment la lecture est devenue mon seul refuge pour laisser libre cours à mes rêves. Je me posais constamment des questions existentielles que mes parents et mon entourage s'empressaient de réprimer ou de minimiser. Je me rappelle que mes meilleurs moments étaient ceux où mon père ou ma mère nous racontaient des histoires du folklore, rassemblé autour du feu de cheminée, en grillant des châtaignes ou des pommes de terre. Ensuite, j'inventais de nouveaux personnages, je me glissais dans leurs rôles et je changeais les fins... Je me rappelle aussi très bien comment je cachais l'argent que mon père me donnait pour la nourriture, je l'enfouissais dans le sable et je faisais semblant d'être malade à l'heure du repas pour qu'une de mes camarades ait pitié de moi et partage son déjeuner avec moi. Tout cela pour acheter mon premier roman, Sous les tilleuls d'Alphonse Karr, traduit en arabe par El Manfalouti. Ma joie fut immense lorsque je l'ai acquis et je l'ai lu en deux jours. Par la suite, j'ai essayé d'écrire des lettres inspirées de celles du livre, mais c'étaient des lettres d'amour que je déchirais rapidement de peur qu'elles ne tombent entre les mains de mes frères. J'ai beaucoup lu de littérature russe et j'ai été influencé par le caractère psychologique des personnages. J'ai également exploré la littérature arabe et anglaise, mais avant l'université, je ne lisais qu'en arabe. Grâce à mes études, je me suis intéressée à la littérature française et j'ai essayé d'écrire dans cette langue, mais ma plume hésitait, sans pour autant que je perde mon insistance et mon ardeur. Après m'être installée en Turquie, l'écriture est devenue une nécessité pour exprimer mon éloignement et les sentiments contradictoires qui m'habitaient. J'écrivais d'abord pour moi-même, puis mon ami Ahmed Belhamissi m'a encouragée à publier mes poèmes dans son groupe sur Facebook «Auteurs à la hauteur». J'ai ressenti un écho chez les lecteurs, même si ce que j'écrivais était plutôt pessimiste et parfois amer. L'écriture m'a libérée. C'est une thérapie qui m'a aidée à surmonter l'éloignement et tout le silence que j'ai vécu. Tous mes mots sont sortis et j'ai l'intention d'écrire encore et encore, de poursuivre ce beau voyage littéraire qui m'a fait renaître.

Vous avez commencé par éditer de la poésie, parlez-nous de votre première expérience d'édition d'un recueil de poésie?

J'ai toujours été passionnée par la poésie! Je me souviens d'une anecdote qui a marqué le début de cette aventure. Au collège, pendant les révisions pour les examens, je devais apprendre une sourate. N'ayant pas mon livre scolaire, j'ai saisi un gros livre posé sur notre télévision, croyant qu'il s'agissait du Saint Coran, sans doute à cause de sa couverture en cuir. Je me suis mise à feuilleter les pages, à la recherche des versets, et quelle ne fut pas ma surprise de découvrir qu'il s'agissait d'un ancien ouvrage consacré à l'histoire de la poésie arabe! J'ai immédiatement abandonné mes révisions pour me plonger dans cette lecture. J'étais submergée par un vocabulaire riche et varié, par la beauté des images et des figures de style. Je lisais et je notais les mots nouveaux. C'était le début d'une véritable passion.

Puis, est né votre premier recueil de poésie...

Pour mon premier recueil, intitulé Un esprit loup me hante, j'ai exprimé un cri du coeur. Je voulais donner une voix à ce loup intérieur qui hurlait et réclamait d'être entendu. La poésie a toujours été omniprésente dans mon enfance, une poésie sauvage et instinctive, celle de la nature qui m'entourait. J'ai toujours eu le désir de percer les mystères de ce monde et de les partager à travers mes mots. Après avoir écrit une cinquantaine de poèmes, j'ai ressenti le besoin de les partager avec les lecteurs. Je voulais transmettre ma vision, ma sensibilité et ma façon de penser. J'avais des messages à faire passer, et la poésie était mon moyen d'expression privilégié. Et cette passion continue de me guider aujourd'hui.

Pouvez-vous nous dire un mot sur le très beau titre que porte votre roman qui rappelle que vous êtes avant tout poétesse?

Papillon, tu étais chrysalide est une métaphore évoquant la transformation et la renaissance. Elle symbolise un long et tumultueux voyage intérieur, où l'âme et l'esprit se métamorphosent. Tels des chrysalides dans leur cocon, les personnages de mon roman s'engagent dans un processus spirituel profond. Ils acceptent les défis de ce chemin, conscients qu'ils émergeront plus beaux et plus libres. Mais la beauté du papillon est-elle véritablement éphémère? Une fois libérés de leur cocon, que deviendront-ils? Seront-ils condamnés à une existence brève et fragile, ou leur transformation leur aura-t-elle conféré une force et une sagesse nouvelles qui les guideront vers de nouveaux horizons? Le titre symbolise tout simplement la résilience et le changement.

Comment s'est effectué le passage de la poésie au roman?

La plupart des critiques de mon roman ont convenu que mon écriture était poétique, ce que j'ai renforcé en intégrant des poèmes dans mes romans. Je crois que les vers peuvent se transformer en phrases, les phrases en récits, et les récits en histoires. Les mots, qu'ils soient poétiques ou prosaïques, jaillissent d'une même source et expriment les mêmes émotions. Je refuse de me limiter à un style unique. J'apprécie la diversité, comme le disait Héraclite: «Rien n'est permanent sauf le changement « Tout est question d'inspiration et de besoin instantané d'expression'.

La majorité des romanciers commence son parcours d'écrivain en signant son cas?

Oui, c'est mon cas aussi! Sylvia Plath disait que «l'écriture est la manière dont je parle à moi-même.» Pour ma part, je dirai que l'écriture est la manière dont je parle de moi-même aussi et elle me permet d'explorer ma propre identité, de revisiter mes expériences, mes souvenirs et mes rêves. J'ai ainsi écrit Les Ponts de l'oubli en arabe, une autobiographie qui retrace mon enfance et mon adolescence. Dans Papillon, tu étais chrysalide, je me suis également glissée parmi les personnages, à l'image d'un papillon émergeant de sa chrysalide. Ma vie dans les montagnes kabyles m'a forgée, et je tenais à transmettre cette expérience à travers mes écrits.

Vous écrivez aussi en langue arabe, vous avez publié un récit en arabe, pouvez-vous nous en parler?

Oui, j'ai écrit Joussour nissyan ou « Les Ponts de l'oubli» qui est un ensemble de textes autobiographiques relatant la vie de Djedjiga, une fillette rurale espiègle et pleine de vie. J'y aborde son combat et sa résilience, tout en évoquant les autres femmes de mon village, nos traditions, l'amour et la belle Kabylie. Ce livre me tient particulièrement à coeur, car je l'ai écrit avec l'âme de la fillette que j'étais, dans la langue que je maîtrisais à l'époque. C'est un ouvrage riche en émotions et en sensibilité. Il a reçu d'excellents retours, et même quelques mémoires de fin d'études lui ont été consacrés. C'est mon meilleur livre, le reflet de mon moi intérieur, une véritable guérison pour moi. Un rêve réalisé.

Ce passage d'une langue à l'autre s'explique-t-il par une hésitation au départ d'un choix de la langue d'écriture de votre part? Ou bien est-il plutôt un désir de s'exprimer dans plus d'une langue?

Comme je l'ai mentionné, j'aime la diversité et le changement, et j'ai appris de nombreuses langues pour faire entendre ma voix. Pourtant, c'est en arabe que je me sens le plus à l'aise lorsque je raconte mon enfance en Algérie. Peut-être est-ce parce que c'était la langue dans laquelle je m'exprimais le mieux à l'époque.

Il y a beaucoup de références philosophiques dans votre roman, pourquoi?

Effectivement, Mes écrits sont imprégnés d'une quête profonde de sens, qui me conduit à explorer les méandres de la philosophie, de la spiritualité et du mysticisme. Mon dernier roman, Papillon, tu étais chrysalide, témoigne de cette exploration intérieure. Je crois fermement que comprendre le monde nécessite non seulement une approche rationnelle, mais aussi une ouverture à l'expérience et à l'intuition. En nous appuyant sur les enseignements des philosophes et les sagesses ancestrales, nous pouvons non seulement interpréter le monde, mais aussi le transformer, tel que l'affirmait Marx. C'est en alliant la raison et l'âme que nous pouvons façonner l'avenir.

La majorité des écrivaines algériennes réservent, naturellement, la part du lion de leurs textes à la condition de la femme, est-ce votre cas aussi?

Évidemment, je me situe dans cette démarche de parler de moi en tant que femme, et particulièrement comme femme algérienne. Comme le disait Simone de Beauvoir: «On ne naît pas femme, on le devient.» J'ajouterais qu'on ne naît pas femme algérienne, mais que c'est une identité que l'on apprend à embrasser au fil du temps. J'admire ces femmes algériennes qui, sans toujours revendiquer le féminisme, mènent un combat remarquable. Elles n'adhèrent pas nécessairement aux courants féministes, mais elles savent conquérir des victoires avec intelligence, tant dans l'histoire qu'aujourd'hui.

Vous avez déjà émis le voeu d'écrire en langue amazighe, êtes-vous passée à l'acte et pourquoi vouloir écrire dans votre langue maternelle?

Mes proches le savent, et mes lecteurs aussi: je suis née dans une famille qui parlait le dialecte arabe. Avant mes 12 ans, je ne connaissais aucun mot en kabyle. J'ai commencé à apprendre cette langue à cause du harcèlement que j'ai subi à l'école. Ne pas comprendre ce que mes camarades disaient me gênait, alors j'ai décidé d'apprendre la langue de mes ancêtres (tout arrive pour une raison), alors j'ai appris cette belle langue que je parle et écris désormais parfaitement. C'est la langue de mes aïeux, et je l'aime profondément. J'ai écrit quelques poèmes en tamazight, mais je dois les retravailler. C'est un rêve que je réaliserai tôt ou tard. Ce sera le plus bel hommage aux femmes de mon village, qui m'ont appris les vers de Si Mohand ou Mohand, qui m'ont aidée à perfectionner mon kabyle et renouer avec mes vraies racines.

Quel est l'écrivain qui vous a le plus marqué? Et le roman que vous empoteriez sur une ile déserte?

Mes goûts littéraires changent constamment. À chaque période de ma vie, j'ai eu des écrivains cultes qui m'ont marquée et inspirée. Dans mon enfance, j'adorais Pouchkine et Dostoïevski. Ensuite, j'ai commencé à idolâtrer des philosophes et écrivains tels que Nietzsche, Kafka, Spinoza, Lamartine, edgar Allan Poe et Kundera. À un certain moment, j'ai développé un penchant pour la littérature algérienne, avec Malek Haddad, Mouloud Feraoun et Assia Djebar. Puis, je me suis éprise de la littérature japonaise, surtout de Haruki Murakami et Murasaki Shikibu. Maintenant, je lis tout ce qui concerne le stoïcisme, le taoïsme, la spiritualité, l'ésotérisme et l'occultisme (pour des recherches). Mais si vous m'offriez un séjour sur une île, je choisirais Je t'offrirais une gazelle de Malek Haddad et je le lirais et relirais. Pourquoi? Ce livre m'a initiée à l'écriture.
Aomar MOHELLEBI



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