Publié le 31.08.2024 dans le Quotidien l’Expression
Dahmane El Harrachi a été et demeurera un artiste mythique. Un véritable phénomène de société. Une légende. Sa voix, ses musiques et ses textes poétiques sont uniques en leurs genres. Il a réussi à se frayer un chemin artistique qui ne ressemble à aucun autre. Tout en modernisant à sa manière le style chaâbi, Dahmane El Harrachi a révolutionné la thématique des poèmes chantés. Il a rompu avec les sujets traditionnellement en vogue dans ce style. Tout en y apportant sa propre touche dans la manière d'appréhender les sujets. Donc il ne s'agit pas seulement d'une mue dans la structure des poèmes chantés mais aussi et surtout dans les sujets appréhendés. Dahmane El Harrachi nous a quittés le 31 août à Ain Benian après avoir révolutionné la chanson algérienne et apporté une touche indélébile à la musique et à la poésie chantée en Algérie. Il n'avait que 54 ans. Au bout d'une carrière foisonnante et prolifique, Dahmane El Harrachi a réussi à devenir l'un des maitres incontestés de la chanson chaâbi et son nom luira pour toujours aux côtés des étoiles El Hadj Mhamed El Anka, Amar Ezzahi, El Hachemi Guerouabi et Boudjemâa El Ankis. Originaire de la wilaya de Khenechla, Dahmane El Harrachi a toutefois grandi et vécu à Alger. Son penchant pour la musique se révéla alors qu'il était encore très jeune. Le premier instrument de musique pour lequel il s'était épris était le banjo, pièce maitresse dans tout orchestre de chaâbi. C'est un instrument indispensable. Il était encore mineur quand il a commencé à chanter inlassablement et passionnément. Dans les années 40, il se fit bras droit de pas mal de chanteurs de l'époque dont Hadj Menouar, M'Hamed Bourahla, El Baouni, Abdelkader Ouchala et même le célébrissime Cheikh El Hasnaoui. La première fois que Dahmane El Harrachi fit son apparition sur scène à côté de Cheikh El Hasnaoui, c'était en 1952 au Café des Artistes, rue de Charonne à Paris. Quand il a commencé à se produire avec ses propres chansons, le public est vite emballé. Il est tombé sous le charme de ce nouveau mode du chaâbi qu'il a accommodé à sa manière, avec des innovations géniales qui en font quasiment un nouveau genre musical. L'innovation est double. Elle porte aussi bien sur le mode musical que sur la poésie. Il a réussi à toucher du doigt toutes les préoccupations de la société algérienne de l'époque et plus particulièrement les déboires des Algériens qui vivaient en France et dont la souffrance intérieure était indicible. Cette thématique centrale est parfaitement synthétisée dans sa chanson culte «Ya rahah». Cette dernière a bercé des générations entières d'Algériens et a même fait le tour du monde grâce à des versions modernisées sous formes de reprises. Dès le début de sa carrière artistique, au milieu des années 50, Dahmane El Harrachi parvient à réaliser des chansons magnifiques tant sur le plan musical et poétique que sur le plan vocal. Car, la voix rauque et unique de Dahmane El Harrachi est pour beaucoup dans sa réussite flamboyante. Quel est ce mélomane qui ne s'émerveillera pas devant les notes ensorcelantes de la chanson « Behdja bidha ma thoul» ou encore «Kifach nensa biled el khir», «Ya elhedjla», «Khebbi sarek ya lghafel», «Newsik yalghafel». Le fait d'avoir rompu avec les longues qasidates du chaâbi, et opté pour un mode de chant plutôt populaire a permis à Dahmane El Harrachi de ratisser large et de toucher toutes les couches de la société. Sur le plan poétique, Dahmane El Harrachi s'est beaucoup approché des préoccupations directes de la société. Il a réussi à concilier merveilleusement la beauté poétique et le langage populaire. Chose très difficile à faire sans prendre le risque de tomber dans la banalité et le simplisme. Bien que Dahmane El Harrachi a employé le langage du peuple, ses poèmes ne sont pas pour autant dépourvus de succulents envolées lyriques et de métaphores élaborées. Sa voix rocailleuse lui servant de support précieux, Dahmane El Harrachi a réussi à épater pendant longtemps et jusqu'à aujourd'hui une infinité de fans et d'inconditionnels. La richesse thématique de son oeuvre est phénoménale. Il a chanté sur tous les thèmes imaginables comme l'amitié et la trahison en amitié, la nostalgie, les déceptions sous toutes leurs formes, la méfiance, le pays natal et la dureté de l'avoir quitté, sa ville natale, la famille, l'amour et ses afflictions, la vie et ses supplices, la malhonnêteté, l'hypocrisie, l'ingratitude et la mauvaise foi. Il avait une capacité incroyable à fragmenter la vie en une infinité de sujets qui ont tous leur importance et leur poids dans la vie. La cruelle mort l'attendait subrepticement au détour d'une route traitresse de Ain Benian, un certain 31 août 1980.
Aomar MOHELLEBI
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Posté Le : 01/09/2024
Posté par : rachids