Publié le 31.03.2024 dans le Quotidien l’Expression
Mohamed Chafik Mesbah met en exergue la diversité des courants partisans qui ont animé le Mouvement national.
On ne peut prétendre porter un quelconque intérêt à l'histoire du Mouvement national sans éprouver un besoin pressant de prendre connaissance du contenu du livre «Idéologie politique et Mouvement national en Algérie» publié par l'intellectuel Mohamed Chafik Mesbah aux éditions «Casbah». Ce dernier réussit à offrir aux lecteurs le fruit d'un long labeur de recherche académique adapté aux besoins d'un plus large lectorat puisqu'il s'agit de sa thèse de doctorat d'État en Sciences politiques soutenue en 1981.
En académicien rigoureux, Mohamed Chafik Mesbah passe au peigne fin la période allant de 1936 à 1956, la dimension idéologique du Mouvement national algérien à travers ses différentes déclinaisons tout en mettant en lumière l'apport de chacune des personnalités les plus en vue de ces époques à l'instar de Ferhat Abbas, Lamine Debaghine, ou encore d'Abdelhamid Ibn Badis et Messali Hadj, entre autres bien sûr.
Le lecteur curieux de découvrir quels furent les idées politiques, culturelles, religieuses, sociales développées par les courants politiques qui formaient le Mouvement national durant la période considérée, trouvera les réponses au fur et à mesure qu'il avancera dans la lecture de ce livre qui vient enrichir une bibliographie qui avait tant besoin d'un tel travail de recherche de haut niveau, mais aussi d'une clarté remarquable.
La majorité écrasante des livres écrits sur le Mouvement national s'intéresse plutôt aux faits et aux aspects chronologiques et témoignages sur les événements, mais ne s'attardent point ou très peu sur les idées et les projets culturels, sociaux, économiques et spirituels portés par les représentants dudit mouvement. Mohamed Chafik Mesbah s'est donc attaqué dans cet ouvrage, qui fera indéniablement date, à cet aspect dont l'importance ne peut aucunement être occultée car il s'agit de revisiter les premiers jalons idéologiques qui ont, avec le temps, façonné le projet national qui allait être mis en oeuvre après l'Indépendance nationale en 1962.
Le chantier brassé par Mohamed Chafik Mesbah est donc immense et complexe. Mais il a su, de manière ingénieuse, aller jusqu'au bout de son idée car le résultat est un livre qui nous apprend tout ou presque sur la question de l'idéologie politique du Mouvement national algérien. Le livre, écrit de manière pédagogique, a le mérite de brosser un tableau minutieux des soubassements idéologiques des différents courants du Mouvement national. Il s'agit de l'UDMA, du PPA-MTLD, les Oulamistes et des communistes algériens. L'auteur avertit d'emblée que plusieurs courants aux idéaux différents, parfois opposés constituaient le Mouvement national. Selon la formule de Mohamed Chafik Mesbah, il s'agit d'une histoire paradoxale que celle du Mouvement national qui ne retrouve son unité que pour s'accorder sur sa diversité et qui, à nouveau, n'emprunte des voies divergentes que pour mieux déboucher sur la nécessaire jonction de ses courants. L'auteur s'interroge s'il faut y déceler les indices d'un monolithisme idéologique et social ou, au contraire, les indicateurs de la variété des filiations sociologiques?». Mesbah insiste sur le fait que l'instauration de l'État national indépendant n'est que le prolongement des racines du passé dont il n'est jamais coupé. En toute modestie, l'auteur reconnaît que ce sujet des plus importants, n'est point son apanage.
Pourquoi 1936
La brûlante question de l'idéologie politique et le Mouvement national en Algérie a fait l'objet de recherches parfois éminentes, souligne Mesbah. Ce dernier, avec ses compétences académiques et rédactionnelles indéniables, a effectué pour sa part une relecture des faits historiques de la période considérée.
Dans son livre, Mohamed Chafik Mesbah s'évertue à situer les courants politiques ayant animé le Mouvement national algérien et les projets partisans qui en ont résulté. Il est aussi question, dans le même livre, de la reconstitution des phases théoriques et des étapes organiques ayant jalonné tant le processus d'élaboration du projet de renaissance nationale que celui de sa mise en oeuvre, «lequel fut caractérisé par le recours à la lutte armée...».
La dernière partie du livre est également d'une grande importance incontestable comme le constatera le lecteur de lui-même en l'abordant. Elle est consacrée à l'approche théorique du statut politique de l'armée dans le processus de renaissance nationale et de ses implications pratiques. Pourquoi donc le livre de Mesbah commence plus exactement en 1936? Ni avant ni après. Tout simplement parce que c'est pendant cette période que les structures partisanes s'affirmaient plus nettement: le Parti du Peuple Algérien se substituait alors à l'Etoile Nord-Africaine «alors que la Fédération des Elus Indigènes Musulmans et l'Association des Oulémas Musulmans Algériens affirmaient leur audience grâce au Congrès musulman algérien».
La pensée de Ferhat Abbas
Le choix donc de l'année 1936 pour démarrer la recherche n'est guère fortuit et il a été fait sciemment par Mohamed Chafik Mesbah qui rappelle qu'à la même époque, le Parti communiste algérien (PCA) succédait à la Fédération algérienne du Parti communiste français.
Qu'en est-il du choix de l'année 1956, pour clore les débats de cette recherche? Mesbah y répond en rappelant qu'inversement, les organisations partisanes finissaient de se saborder et de s'intégrer à l'appareil politico-administratif, voire militaire, du Front de Libération nationale. Mohamed Chafik Mesbah met en exergue la diversité des courants partisans qui ont animé le Mouvement national algérien ainsi que l'ébullition de projets politiques qui en ont résulté. Le livre de Mesbah porte donc sur l'évolution de chacun des courants partisans «qui, avec une audience et une intensité variables, animaient le Mouvement national algérien».
L'originalité et la richesse de cet ouvrage résident dans la capacité de l'auteur à offrir à la fois une synthèse de l'essentiel des idées et des messages véhiculés et défendus par lesdits courants tout en offrant au lecteur, au fur et à mesure, des analyses percutantes, qui peuvent l'éclairer davantage et le mettre sur des pistes de lecture, voire d'interprétations.
La rigueur intellectuelle de Mohamed Chafik Mesbah ainsi que son impartialité objective lui permettent d'offrir des lectures dépassionnées et totalement dépourvues de parti pris. Ce qui fait de ce livre, non seulement une oeuvre académique de qualité, mais aussi un ouvrage pédagogique, qui peut être lu et apprécié par le commun des lecteurs. Par exemple, quand il s'agit de parler du courant réformiste bourgeois, Mesbah rappelle que ce dernier a constitué le noyau profond du Mouvement national algérien et, au-delà des modifications organiques qui l'ont affecté, il s'est caractérisé par la relative constance de son projet politique.
Dans ce chapitre, l'auteur met en avant les apports de l'Emir Khaled, le docteur Bendjelloul mais aussi et surtout Ferhat Abbas, présenté comme étant l'une des figures les plus importantes du Mouvement national, surtout durant cette période.
Ferhat Abbas souhaitait un parti de masse fortement structuré et solidement implanté au sein de la population musulmane, est-il rappelé.
L'auteur montre, au fil des pages, comment a évolué «la pensée» de Ferhat Abbas et de son courant, en fonction de l'évolution de la situation extérieure et du contexte.
Etant la première partie du livre, le lecteur est vite absorbé par l'intérêt que suscite la lecture de ces pages. Il ne peut donc s'en départir et ne pas aller jusqu'au bout des autres parties, car toutes sont caractérisées par la même maîtrise dont fait preuve l'auteur aussi bien en ce qui concerne le fond que la forme. Il en est ainsi de la partie consacrée au courant nationaliste révolutionnaire où l'auteur décortique toutes les étapes de la naissance de l'Etoile Nord-Africaine jusqu'au PPA-MTLD.
L'auteur ne cesse d'assouvir la curiosité du lecteur. Il est clair que pour parvenir à un tel résultat, Mohamed Chafik Mesbah a dû s'adonner à un travail de recherche titanesque et minutieux, aussi bien en ce qui concerne la collecte des témoignages que de la consultation d'une bibliographie des plus étoffées.
Dib, Kateb et les autres...
Mesbah souligne ainsi que le premier programme politique de l'ENA fut très ostensiblement inspiré par les revendications qu'avait formulées l'émir Khaled dans les deux conférences prononcées en juillet 1924.
Le livre donne au lecteur les détails de ces revendications ainsi que d'autres idées défendues dans des articles publiés dans les journaux de l'époque dont principalement «El-Ouma». Dans le même journal, on découvrira les idées défendues et exprimées par Mesasali, comme l'article que ce dernier publia en mai-juin 1936 où il écrivit que l'Algérie demandait seulement à vivre dans la liberté, la paix, d'instruire ses enfants et de s'acheminer dans la voie du progrès et de l'émancipation».
L'auteur nous montre plus loin, comment le discours nationaliste a évolué, petit à petit, pour finir par exiger carrément et de manière franche l'indépendance de l'Algérie qui deviendra la principale, voire l'unique revendication, qui résume, en effet, toutes les autres et bien plus. Mais même parmi les figures les plus en vue de ce mouvement, il y en a eu qui avaient exprimé des réticences au départ.
Lesquelles réticences finiront par s'effilocher bien entendu avec la naissance du FLN et la déclaration de la guerre d'indépendance et surtout après la tenue du congrès de la Soummam, qui a conféré un nouveau souffle à la Révolution et au combat des Algériens pour leur indépendance.
Le chapitre réservé au courant Oulamiste, à Ben Badis et à ses compagnons, fourmille de détails et d'informations, lesquelles sont à chaque fois assorties des analyses pointues de Mohamed Chafik Mesbah.
D'ailleurs, l'un des aspects les plus positifs de ce livre est la capacité qu'a l'auteur à toujours trouver un véritable équilibre entre ce qu'il rapporte comme faits et idées exprimées et défendues par les acteurs d'une part et sa propre lecture d'autre part. Ce qui rend à chaque fois la lecture digeste et bien évidemment passionnante.
Le quatrième chapitre est dédié au courant communiste où l'auteur rappelle que de grands écrivains et intellectuels algériens étaient des adeptes de ce dernier comme Mohammed Dib, Kateb Yacine, Abdelhamid Benzine, Malek Haddad, etc.
L'auteur affirme que la propagande écrite fut, incontestablement le moyen d'action le plus usité par le Parti communiste algérien (PCA).
Mesbah souligne aussi que l'ambiguïté du programme politique du PCA persista jusqu'à la veille de l'insurrection du 1er novembre 1954.
«La difficulté que le PCA eut à s'implanter, profondément et durablement en milieu autochtone fut moins le fait de l'inefficacité de ses partisans ou de l'inadéquation de ses structures au contexte algérien, que celui de l'ambivalence de son programme politique», explique Mohamed Chafik Mesbah.
L'ouvrage offre enfin, en troisième partie, une étude académique, mais accessible à bien des égards, au lecteur non initié, sur le statut politique de l'Armée.
L'auteur décrypte le cas algérien mais donne également des lectures de plusieurs armées de pays arabes et occidentaux.
Il montre ainsi, entre autres, que «la distinction entre civils et militaires est une invention des sociétés occidentales dont le système politique qui les caractérise, justifie la subordination des seconds aux premiers».
Le livre de Mohamed Chafik Mesbah est préfacé par le colonel Khatib Youcef dit Si Hassan. Il y est souligné: «Cette recherche qui s'inscrit dans un but d'investigation de notre passé, en vue de réactiver la confrontation entre la stricte recherche historique et notre mémoire propre, constitue une contribution de qualité pour l'écriture d'une histoire basée sur des faits vérifiables, loin de toute manipulation».
Aomar MOHELLEBI
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Posté Le : 31/03/2024
Posté par : rachids