Z ’hor Zerari s’est est allée. Une vaillante patriote vient de mourir. Elle a confié sa jeunesse à la Révolution comme on fait don de ce qu’on a de plus cher à la cause la plus chère d’entre toutes : la liberté.
«Si tu es un edelweiss
Je grimperai
La montagne bleue
Pour te cueillir…»
A-t-elle écrit du fin fond de sa cellule de prisonnière pour chanter son idéal.
Enfant, Z’hor, était «la préférée de Sidi», nous a confié, la gorge nouée par la douleur, son oncle, le commandant de l’ALN Si Azzedine, au moment où la mauvaise sonnerie du téléphone a brisé le charme de cette journée d’août finissante. «Pour Z’hor, la fille aînée de mon frère Sidi, l’éveil nationaliste se confondit très tôt avec l’éveil de sa conscience», écrit l’ancien membre du CNRA et de l’état-major général (EMG) dans son ouvrage On nous appelait Fellaghas.
Sidi, le régent de la fratrie. Substitut du père disparu emporté avec la mère, une sœur et deux frères, par la maladie, le typhus, vers la fin des années 1930. Sidi, l’autoritaire gardien de la maisonnée bédjaouie qui s’installe à Annaba. La famille de Saïd El Q’bayli, le laitier. Il est à la fois le père mais aussi le modèle, de Z’hor mais pas seulement …
«Un jour de 1957
C’était au petit matin
Des chiens verts t’emmenèrent
Sur le pas de la porte
Je te regardais partir
Et je me souviens encore
De ton sommeil ensommeillé
Je me souviendrai toujours
De ton sourire malmené…
… la bouche de sang barbouillée
Tu souriais encore.»
Des vers composés par l’affliction, muse des opprimés. Comme son père, elle voulait militer. S’engager dans la bataille nationaliste. C’est à son cousin Abdelwahab qu’elle avait confié la mission : «Je ne cessais de le tarabuster pour qu’il m’obtienne une carte du PPA-MTLD pour, me disais-je, agir en militante.»
A la faveur de la grève des étudiants de mai 1956, alors qu’une surveillance serrée s’exerçait sur la famille Zerari de la rue Damourah, depuis que Rabah, le futur commandant Azzedine de la Wilaya IV, avait rejoint (en mars 1955) les rangs de l’ALN, «Z’hor va parachever son engagement» à l’insu de ses parents, comme beaucoup de jeunes patriotes de l’époque.
Lors de la grève des huit jours, alors que son père croyait qu’elle rejoignait les cours, la jeune fille était chargée par le FLN de l’assistance aux familles déshéritées. Comment faire face au père et lui avouer son engagement ? Son autre oncle, M’hamed, lui aussi militant du FLN, s’en est chargé… Ce soir-là, en rentrant chez elle… «Le cœur qui cogne. Un pas. Une porte s’ouvre. C’est déjà Saïd. Deux regards.
– Bonjour, dit Sidi.
– Bonjour répond Z’hor, étonnée.
– Depuis quand ?
– Depuis quelque temps déjà.
– Saha… dit simplement Saïd.
Ce fut tout. Dès ce moment, les rapports entre Z’hor et son père changèrent du tout au tout.»
Le 18 juillet 1957, la vie de Z’hor bascule. Nous lui avions posé la question.
El Watan : vous écrivez que vous êtes passée à l’action directe «le 18 juillet 1957, en déposant 3 bombes». Vous étiez accompagnée du militant Yahia Safi. «Toutes les trois ont été déposées sous des voitures en stationnement dans des rues non passantes.» Elles n’ont donc pas fait de victime…
Zhor Zerari : Yahia et moi avions déposé les trois engins dans deux endroits différents. Rue de Brazza du côté du Palais du gouvernement général et deux autres rue Edgar Quinet. Quelques jours après ces trois bombes, qui avaient fait beaucoup de bruit même s’il n’y a pas eu de victime, on vient me chercher pour déposer d’autres bombes. Je devais aller les chercher à Beaumarchais, du côté de la clinique Verdun (aujourd’hui Aït Idir). Elles n’avaient pas encore été réglées. C’était Berezzouane le régleur. Il y avait quatre bombes … Le régleur, Berezouane, était dans la pièce à côté.
Cloisonnement oblige, nous ne devions pas nous voir…
Puis tout d’un coup, tout a sauté dans la pièce où il réglait les bombes. «Saute, saute par la fenêtre !», hurle Saïd, mon responsable direct lequel se trouvait avec le régleur. Je n’attends pas qu’il me le répète. Je saute et me reçois dans une courette. Je me précipite vers les escaliers qui mènent au boulevard de Verdun. J’attends Saïd, pensant qu’il allait récupérer les bombes. Soudain je l’aperçois, accompagné, et il me dit de filer.
Puis ce fut le cauchemar.
Le premier sentiment du torturé, témoigne Z’hor, c’est l’humiliation, c’est la toute première sensation car ils commencent invariablement par vous déshabiller. J’en pleure toujours. Une salle de classe, une estrade, un bureau du maître, pas de pupitres d’écoliers… Le long de trois murs, alignés en rangs d’oignon serrés, se tiennent debout tous les frères. Et le tortionnaire qui est là face à vous, qui vous toise, arrogant, fielleux, qui commence par déverser un flot d’insanités, plus outrancières, plus triviales, plus vulgaires les unes que les autres. Des menaces contre ma virginité, des injures, des intimidations, des provocations.
Quand vous voyez tous les frères, la tête baissée, ruminant leur colère qu’écrase un poing fermé dans un bouillon de honte. Vous êtes humiliés. Leur «redjla», ce sentiment atavique réduit à l’impuissance… Résignés… C’est là que j’ai pleuré. On ne pleure pas sous la torture physique. On n’a pas de larmes. Je n’ai pas pleuré de douleur. Cette dernière est tellement intense, tellement inhumaine qu’elle ne provoque pas les larmes. C’est atroce. Ce n’est plus humain…
Je me suis souvenue du jour où, après avoir subi la torture, quelque temps avant sa mort, mon père m’avait dit : «C’est dur, c’est très dur.» On ne peut pas supposer la douleur.
Dix jours, «peut-être plus, peut-être moins de calvaire. Mais j’ai l’impression que tout ça se mesure en siècles. J’avais perdu toute notion du temps.»
Inculpée, condamnée, jetée à Barberousse. «Puis El Harrach, Toulon, Pau, Bordeaux et enfin Rennes, d’où elle a été libérée après le cessez-le-feu. en 1962. Le tour de France des prisons», disait-elle.
Jusqu’à sa mort, Z’hor ne pouvait plus toucher un interrupteur. Que dire de brancher une prise…
L’indépendance ! La liberté tant rêvée. Nous, les femmes, sommes tombées de haut d’avoir été renvoyés aux réchauds le jour même qui a succédé à l’indépendance. Sans attendre ! Oust ! Aux cuisines.
C’est l’autre combat de Z’hor Zerari.
Journaliste, elle refusera jusqu’à son dernier papier tout compromis. Tous les confrères se souviennent de cet article qu’elle avait écrit au bas duquel elle concluait : «Ce n’est pas le méchoui qui a changé, ce sont les convives qu’il y a autour !»
Membre fondatrice du Comité algérien de lutte contre la torture, Z’hor Zerari est partie discrètement. Elle n’aimait pas les feux de la rampe, elle qui a chanté la lumière. On ne verra plus sa silhouette et ses traits durs, marqués par le combat, dans les rassemblements pour les luttes nouvelles. Elle manque déjà à la jeunesse de son pays. B. A.
Sources
– Commandant Azzedine. On nous appelait Fellaghas (Stock. Paris 1976)
– Z’hor Zerari. Poèmes de Prison
– El Watan du 24 mars 2005. Entretien avec Z’hor Zerari
Boukhalfa Amazit
Z’hor Zerari, l’écrivaine aux mille fusils libérateursTaille du texte normaleAgrandir la taille du texte
Elle était là, devant moi, frêle, amaigrie et tremblante d’émotion : «Comment ils ont pu faire ça ? Des Algériens qui tuent leurs frères algériens ! Même dans mes pires cauchemars, je n’ai pas vu cela depuis 1967, année du coup d’Etat raté de Tahar Z’biri ! ».
Z’hor Zerari, devant moi, en chair et en os ! Je n’en croyais pas mes yeux ! La date : le 30 octobre 1988. Le lieu : Centre culturel Abane Ramdane, Port Saïd, Alger. Le climat nuageux, humide et triste comme ces atrocités du 5 octobre 1988 !
«Des faits divers», «un chahut de gamins», «des événements regrettables …», selon la presse gouvernementale de l’époque. «Des blessures inguérissables, des tortures aussi pires que celles que les tortionnaires de Bigeard ou de Pierre Sergent ‘‘infligeaient’’ aux pauvres Algériens !», selon Z’hor Zerari, la moudjahida dont le corps a gardé «les traces douloureuses» des tortures de Serkadji, jusqu’à ce 19 août 2013.
Poétesse, nouvelliste et journaliste, Z’hor Zerari avait, au lendemain de ce 5 juillet 1962, beau et libérateur, publié ses écrits, qualifiés comme les tortures des colonialistes de «faits divers». Des nouvelles exquises, belles comme la lueur de ses yeux par les temps printaniers d’Alger.
Une grande nouvelliste comme Z’hor Zerari peut toujours transformer «l’horreur» en «beauté». C’est cela la «grande littérature», n’est-ce pas ? En ce 30 octobre 1988, Z’hor Zerari avait, malgré sa profonde tristesse, l’intention de militer encore «plus !». Créer une association de défense des «victimes d’Octobre», plutôt des «martyrs» comme elle disait.
Ce fut chose faite dans une petite réunion avec des moudjahidate. Elles n’étaient pas nombreuses, mais le ton était sérieux, grave et solennel. L’association, selon Z’hor Zerari, n’a jamais été agréée. Mais «qu’importe, nous continuerons à militer, à défendre la nation et le peuple jusqu’au dernier de nos soupirs !» Ainsi m’a-t-elle dit en 1998 dans notre dernière rencontre. Ce jour-là, elle était encore plus amaigrie, plus frêle en dédicaçant à ma cousine un exemplaire de ses Faits divers, (édités par Bouchène à l’époque).
Je n’ai plus revu Z’hor Zerari, mais j’ai toujours en mémoire ses nouvelles, ses poèmes et ses autres écrits publiés un peu partout dans la presse. Elle écrivait avec la passion des «grands de ce monde», comme disait Kateb Yacine.
Par Djilali Khellas
NB: Les nouvelles Faits divers ont été aussi réalisées en film, (il existe toujours à l’ENTV). Un nouveau passage à la TV serait un bon hommage à Z’hor Zerari.
In El Watan du 14 sept 2013
Pour rappel:
Z’hor Zerari est décédée le veille des 57 ans du congrès de la Soummam. La moudjahida Zhor Zerari est décédée des suites d’une longue maladie. Zhor Zerari avait 76 ans. La défunte faisait partie des Moudjahidate les plus actives dans la « Zone Autonome d’Alger » durant la guerre de libération nationale, aux côtés de Djamila Bouhired, Hassiba Ben Bouali, Zohra Drif, et autres héroïnes de la Bataille d’Alger …
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Posté Le : 01/08/2022
Posté par : chouhada