Publié le 06.11.2024 dans le Quotidien le soir d’Algérie
LAYACHI SALAH EDDINE
Propos recueillis par Salah Eddine Layachi
Nora Aceval vient de publier Sagesse des femmes du Maghreb, un recueil de 33 contes, qui nous plonge dans un univers peuplé d'héroïnes stoïques et patientes, nous invitant à réfléchir sur notre caractère, notre capacité à pardonner et notre lucidité face aux épreuves de la vie. Ces récits, où l'intelligence féminine traverse les frontières, révèlent une force d'amour indomptable et une compassion triomphant de la colère. Chaque conte y devient une leçon de vie, simple et extraordinaire à la fois.
Le Soir d’Algérie : Dans votre recueil de contes, les héroïnes partagent un parcours douloureux qui les mène néanmoins à la résilience. Est-il nécessaire pour ces femmes de passer par la case souffrance pour acquérir la sagesse ?
Nora Aceval : Ah ! Vous entrez directement au cœur du sujet. Sachez que cette question m’a moi-même beaucoup troublée. Ces héroïnes sont souvent des modèles exemplaires, et certaines subissent ce qui peut s’apparenter à de la violence morale, voire conjugale. Mais, en m’imprégnant de notre culture, en creusant plus profondément et en écartant les préjugés liés aux genres, mon regard s’est affiné. La patience m’est alors apparue comme l’élément central. Ces femmes patientes, par leur endurance, transforment le monde autour d’elles. C’est loin d'être anodin !
Ces héroïnes sont, en effet, des exemples de patience, supportant sans un soupir. Leur résistance, à l’image de celle de Yacoub (Job), pourrait sembler passive. Mais, finalement, elles obtiennent justice. La patience serait donc, selon vous, la clé de ces contes autour du féminin ?
Absolument. Sans patience, il n’y a pas de sagesse ! Ce livre aurait même pu s’intituler La patience des femmes. Les épreuves qu’elles affrontent sont initiatiques. Comme dans tout conte, il s’agit d’un parcours de transformation ! La transformation n’est pas extérieure, mais intérieure. C’est cette transformation intérieure qui procure les changements extérieurs. Quant à la «passivité» que vous mentionnez, il s’agit d’une «passivité active» (infi’al). Un concept mystique. Dans Les gardiennes du secret de Karima Berger (Éd. Albin Michel, p.126-129), j’ai découvert des perspectives similaires. Ces héroïnes s’engagent dans une démarche rituelle et spirituelle qui transcende la colère et mène vers la sagesse. J’ai interrogé d’autres textes sacrés et un maître mystique soufi. Bien que cela ne soit pas mentionné, ces femmes implantées dans le quotidien sont en réalité dans une démarche rituelle et vénérable. C’est la raison pour laquelle certains contes de sagesse se clôturent par un hadith ou une sourate.
Outre cette patience, ces héroïnes se montrent parfois rusées, voire autoritaires. Ce qui nous a particulièrement marqué, ce sont les contes qui font l’éloge de leur savoir-faire manuel. Nadine Decourt, la préfacière de votre livre, donne un éclairage inattendu sur ce recueil. La lecture de cette préface est une ouverture sur un trésor insoupçonné. Aviez-vous, vous-même, cette interprétation de vos contes du terroir ?
Nadine Decourt, agrégée de lettres classiques, comparatiste, anthropologue, a tissé un parcours de recherche autour du conte comme poétique de la rencontre en situation interculturelle en France. Elle s’intéresse en particulier aux rapports entre traditions populaires et culture savante, à la question de la traduction et de la transmission des littératures orales. Elle est l’autrice de plusieurs ouvrages sur le sujet, dont La vache des orphelins. Contes et immigration (éditions Puff). C’est certain, elle a mis en lumière des dimensions que je n’avais peut-être pas perçues avec autant de clarté. Sa préface révèle la richesse cachée dans chaque conte. L’éloge du savoir-faire manuel (De l’or dans les mains P.47), l’art de la parole (Le mari et le rat. p.44), celui de la politique (Femme de Sultan et femme de mendiant P.36) et même le pouvoir économique (Les peaux de gerboise - mon préféré - p.86). Nadine Decourt nous montre que chaque conte est porteur d’un enseignement profond. Selon elle, il n’y a pas de distinction entre contes «savants» citadins et «paysans» ruraux.
Vous savez, les contes sont tous des trésors intemporels, des critiques sociales, des éveilleurs de conscience. Il n’existe pas de conte «politiquement correct». Négliger ces contes serait oublier ce qui a forgé notre esprit depuis des millénaires. Notre amour de liberté, notre propension à la révolte contre l’injustice, nos rébellions et nos quêtes spirituelles.
Vous êtes écrivaine et conteuse, passant de l’oral à l’écrit et vice versa. À notre époque numérique où l’IA prend une place croissante, la narration en présentiel a-t-elle encore un sens ?
Les êtres humains raconteront toujours des récits produits par l’imaginaire ! La présence du conteur ou de la conteuse et celle des auditeurs sera encore plus précieuse qu’autrefois. Au royaume des contes, on se conforme à la loi de la poésie qui procure divertissement et enseignement. La personne qui raconte s’appuie sur la personne qui écoute. Un conteur africain m’a dit un jour : «Celui qui écoute, par ses silences, ses questions et même interruptions est la véritable monture sur laquelle la parole conteuse chevauche.» L’auditeur porte le conteur ! Ce qui fascine dans la transmission du conte c’est la chute finale. La loi du boomerang ! Chacun reçoit ce qu’il a semé et l’injustice est toujours réprimée par la loi divine et celle de la nature ! La lumière triomphe des ténèbres et l’héroïsme se transmet en héritage. On repart de ce monde comme on y est arrivé et cela le conte nous l’enseigne et nous le rappelle. Cependant, demeurent les actes ! Toutes ces dures réalités sont dites avec poésie pour bien s’ancrer dans l’esprit ! Le bien triomphe toujours du mal dût-il y mettre des siècles ! En effet, j’aime l’oralité. Lorsque je dis un texte, c’est au moins cinquante oreilles qui écoutent. On n’enferme pas la parole, on ne la brûle pas non plus.
Pour conclure, il se murmure que vous êtes invitée au Sila (Salon international du livre d’Alger). Avez-vous des interventions prévues ?
En effet, je suis ravie et honorée de participer cette année aux rencontres du Sila en tant qu’autrice. Le 8 novembre, je serai au stand de ma maison d’édition algérienne Sedia pour des dédicaces, le 12 novembre de 17h à 18 heures, je suis conviée à débattre du conte et de la production du conte en littérature jeunesse. Participer à un salon est stimulant. Une exploration dans un univers littéraire pour rencontrer des lecteurs et lectrices, mais également des auteurs et des autrices et assister à des débats pour partager, mais également élever son esprit.
S. E. L.
Posté Le : 08/11/2024
Posté par : rachids