Publié le 08.10.2024 dans le Quotidien l’Expression
Une telle ouverture sur le monde permettra à coup sûr aux Algériens d'élargir l'horizon de leurs connaissances et de se faire une idée des luttes et des tâtonnements par lesquels les diverses sociétés se sont faites.
Faut-il se résigner au stress ambiant et désespérer de cette Algérie qui a plus d'une fois touché le fond et qui n'a pas péri? La vie se décolore-t-elle devant cette jeunesse qui donne parfois l'impression de renoncer à tout et qui ne songe qu'à émigrer? Même si épisodiquement la tentation est forte, comme partout ailleurs, de s'asseoir tristement sur le bord du chemin et de laisser fuir l'espoir, celui-ci ne va pas bien loin. Il trouve un refuge sûr en ces jeunes qui, dans la pleine floraison de leurs capacités, apprennent à marcher sur la grande route de l'avenir. En 2024, quelque 12 millions d'élèves des trois cycles ont fait leur rentrée dans 30 000 écoles, collèges et lycées, ainsi que 1,8 million d'étudiants dans 115 établissements universitaires. Au-delà des statistiques, c'est la fonction socialisante du système éducatif qui retient l'attention parce qu'elle est l'un des éléments cruciaux de renforcement de l'unité nationale. En effet, ces jeunes n'auront pas seulement à recevoir une instruction élémentaire indispensable à la maîtrise de l'écriture, de la lecture et du calcul. Ils n'auront pas non plus à se contenter des savoirs rationnels apportés selon une approche scientifique et une pédagogie appropriée dans les champs des sciences exactes et des sciences sociales où se joue la qualification professionnelle à tous les niveaux.
Avant d'être des écoliers, des lycéens ou des étudiants, ce sont d'abord des Algériens qui ont le devoir de connaître leur pays, sa géographie physique et humaine, son esprit et son tempérament. Mais également son histoire. Or, cette matière a été déclassée dans l'échelle des savoirs chez une nombreuse jeunesse. Il y a 45 ans déjà, en 1979, «de jeunes lycéens (...) manifestèrent dans les rues d'Alger aux cris de «l'Histoire à la poubelle», marquant ainsi leur opposition à ce que cette discipline soit réhabilitée dans les programmes scolaires et l'examen du baccalauréat» (cf. H. Djiar, 2012). Aujourd'hui encore, l'école peine à intéresser les élèves à l'histoire de leur pays. Même la Révolution qui a donné pourtant à l'Algérie une gloire sans pareille dans l'histoire des nations, n'est revisitée qu'à l'occasion des commémorations. C'est un désintérêt inquiétant qui expose à l'oubli ce moment singulier du passé national, ainsi que tous les épisodes marquants de ce passé.
Il prive aussi nos jeunes des comparaisons et d'une mise en perspective nécessaires à la compréhension des grands enjeux du monde actuel et de celui qui vient. Pendant ce temps, on se contente de déplorer ce phénomène sans remonter à sa source pour savoir comment est enseignée à l'école et traitée dans la société la chose historique. À l'école, l'enseignement de l'histoire se fait souvent par le procédé mnémotechnique, c'est-à-dire la mémorisation. De la sorte, les élèves amassent dans leur tête des faits et des dates qui tendent à les saturer, à leur rendre la matière ennuyeuse et les évènements impénétrables, donc à les démotiver. Au sein de la société, l'histoire a servi d'abord de déclic entre les années 1920 et 1962 dans une perspective largement politique, en tant qu'arme de guerre et outil pertinent de légitimation de la lutte anticoloniale.
Depuis 1962, c'est surtout la Révolution qui est mise en avant par des historiens, mais aussi par des acteurs comme par exemple D. Ould Kablia, A. Bouhara, M.S. Mazouzi, S.Yacef, A. Chaid... et même par le pouvoir soucieux de légitimité révolutionnaire. Quoi qu'il en soit, après 60 ans d'indépendance, le moment est venu de faire le point sur ce dossier et d'éveiller l'intérêt de nos jeunes en assignant à l'histoire une mission additionnelle visant à favoriser la formation de leur jugement et de leur intelligence à travers des outils numériques et autres moyens de l'éducation nouvelle.
Au lieu des approches traditionnelles, on pourrait actualiser les méthodes d'enseignement de cette matière et élargir les contenus à ce que d'autres nations ont laissé derrière elles à leurs descendants et à l'humanité. En d'autres termes, il s'agit moins d'obliger nos écoliers à apprendre par coeur des leçons rarement retenues sur des évènements ponctuels, que de mettre sous leurs yeux à côté de l'histoire nationale celle des civilisations. Une telle ouverture sur le monde permettra à coup sûr aux Algériens d'élargir l'horizon de leurs connaissances et de se faire une idée des luttes et des tâtonnements par lesquels les diverses sociétés se sont faites.
Ils mesureront alors la juste place de leur pays parmi elles et comprendront comment ces sociétés ont traversé les siècles avec une alternance entre la stabilité et le mouvement, la prospérité et la récession, les crises et les relèvements. Ils se rendront compte de l'enchevêtrement des évènements politiques avec les faits économiques et sociaux, les courants d'idées et les élans scientifiques, littéraires et autres. Ils s'apercevront que le stress ambiant qui affecte notre pays atteint aussi bon nombre d'autres pays; et que l'histoire est pleine d'à-coups qui révèlent des dissensions et des ententes, des affaissements et des sursauts, des temps stériles et des périodes de fermentation politique, sociale et intellectuelle fécondes. Autant dire qu'il est dans la logique interne de l'histoire des nations d'être fluctuante. Et que celles qui ont assimilé cette logique conservent un lien solide avec l'espoir.
Hachemi Djiar
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Posté Le : 09/10/2024
Posté par : rachids