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Election américaine bis repetita Lettre à Madame Kamala Harris



Publié le 10.08.2024 dans le Quotidien le soir d’Algérie
Par Ammar Koroghli(*)

Madame la future Présidente,
Plus que jamais, la cruelle actualité interpelle nos consciences quant à la récurrente question palestinienne. Un peuple privé de sa terre natale. Israël ? Colonies tous azimuts et annexion de fait d’El Qods. Avec l’appui militaire, diplomatique et économique des pays les plus en vue de l’Occident dont les Etats-Unis d’Amérique. Cette situation ne date pas d’aujourd’hui. Vous voilà investie afin de conquérir la magistrature suprême. Je vous adresse la même lettre que celle transmise ouvertement à vos prédécesseurs (alors candidats comme vous en l’occurrence, ou déjà présidant aux destinées des USA). Vous dont le père est de la Jamaïque et la mère d’Inde.
La Jamaïque ? Berceau certes de la musique reggae, tantôt spanish tantôt english, mais qui, courant du second XIXème siècle, a été le théâtre d'un des plus importants soulèvements de la population noire des Antilles. La Jamaïque n’est devenue indépendante qu’à la même date de mon pays (1962), les «indigènes» (comme furent appelés également mes concitoyens ; en d’autres cieux, on aurait dit aborigènes) ont été décimés par la maladie, l'esclavage et la guerre, et encore aujourd’hui voués à l’émigration.
L’Inde ? Immense pays du sud de l’Asie, cette contrée a été une civilisation avant de connaître les affres de la colonisation britannique jusqu’en 1947. Avec ses 29 Etats (pays de type fédéral avec sa Constitution de 1950, un régime parlementaire à l’inverse de votre pays), l’Inde est considérée comme la plus grande démocratie du monde (sans doute selon le critère démographique avec 1,5 milliard d’âmes). Après les douloureux événements qui ont abouti à deux Etats (Inde et Pakistan), l’Inde est toujours confrontée à la précarité et à la violence à l’endroit des musulmans…
Mon sujet concerne toutefois un autre pays dont la population est privée d’indépendance à ce jour : la Palestine. Je rappelle que tout commence le 2 novembre 1917. Un certain Arthur Balfour, ministre britannique des Affaires étrangères s'il en fut qui, dans une lettre ouverte, a pu écrire : «Le gouvernement de Sa Majesté voit favorablement l’établissement d’un foyer national juif en Palestine» (exit l’Argentine et l'Ouganda comme projet pour ce faire). La «Perfide Albion» ! Pour rappel également, l’ONU adopta la résolution 181 partageant la Palestine en un État juif (56% des territoires pour seulement un tiers des habitants juifs et le reste - 48% des terres - pour les deux tiers d'habitants arabes). Ce, avec un statut international pour Jérusalem. Pour les Palestiniens, c’est la Naqaba, la catastrophe. C’est la destruction de leur société et de leurs villages suivie de l’exil de la grande majorité de la population.
Ainsi, dès l'origine à ce jour, les Palestiniens vivent la marginalisation, les discriminations, les assassinats «ciblés», la misère… La question palestinienne ? Elle est aussi mon problème. Le vôtre également, désormais. Elle se doit d’être celui de tous les esprits épris de justice et de liberté pour les peuples autant que pour les individus. Il s'agit tout de même de l´expulsion de tout un peuple de sa terre qui, à ce jour, subit une extermination sous les yeux du monde dit libre. Et depuis plus d´un siècle, le sionisme applique la même stratégie : s'emparer des terres et institutionnaliser le fait accompli afin de marginaliser le peuple palestinien.
Et pourtant en Palestine, et ailleurs dans les pays arabes du Machrek comme du Maghreb, la communauté juive vivait paisiblement avec les Arabes de façon générale et les Palestiniens de façon particulière (les Juifs ont été accueillis en terre d’Islam après leur expulsion d’Espagne en 1492 par Isabelle la Catholique). Innocent, le peuple palestinien a été également trahi par les dirigeants des pays arabes. Ainsi, la guerre de 1948 a entraîné 800 000 expulsés (plus de la moitié de la population arabe de Palestine) et des villages entiers ont été effacés de la carte de la Palestine (plus de 500). Ceux qui ont pu échapper à l’expulsion forment aujourd´hui avec leurs descendants environ 20% de la population israélienne et vivent également à ce jour une colonisation condamnée par les instances internationales comme par les Etats.
Cette duplicité qui ne dit pas son nom continue. Ainsi, l´Égypte a commencé dès le 1er mai 2008 ses livraisons de gaz à Israël. Elle s´est engagée alors à lui livrer 1,7 milliard de mètres cubes de gaz par an durant 15 ans au moment même où Ghaza, sous embargo israélien, n’a pas d´électricité ! Et, en cela, on aura raison de dire qu’on ne saurait être plus arabe que les Arabes eux-mêmes. Cela étant, les groupes de pression agissant dans les sphères politique, économique et médiatique (pour l'essentiel en Europe occidentale et aux USA) bénéficient en toute vraisemblance d'une marge de manœuvre suffisante permettant une action de nature à effacer définitivement cette injustice flagrante à l'endroit des Palestiniens. Injustice à laquelle ont contribué ces pays. Mais le peuple palestinien continue de souffrir le martyre du fait du sentiment de culpabilité des pays occidentaux sur lesquels un magistère moral est exercé en permanence par ces groupes de pression. Et, faut-il le rappeler, Israël reçoit une énorme aide de toutes natures des Etats-Unis (chaque année quelque cinq milliards de dollars) et autres livraisons d´armes avec appui diplomatique garanti inconditionnellement ?

Madame la future Présidente,
Faut-il préciser ici que, de l'intérieur même des territoires occupés, des voix s'élèvent pour dire non à cette injustice et à la récurrente impunité d'Israël. Ainsi, ce qu'il a été convenu d'appeler les nouveaux historiens israéliens soulignent par exemple la responsabilité de Ben Gourion, entre autres, dans l´expulsion de plus d´un demi-million de Palestiniens. L'un d'eux, Ilan Pappé, dont l'un des ouvrages est paru sous le titre : «Le nettoyage ethnique de la Palestine», ne manque pas de le souligner : «Quand la propagande israélienne répète inlassablement que «les Arabes sont partis d´eux-mêmes» à l’appel de leurs dirigeants, il s´agit d’un mensonge fondateur destiné à masquer le crime qui s´est déroulé, il y a 60 ans.»(1)
Certains journalistes israéliens ne sont pas en reste ; l'un d'eux écrit : «Deïr Yassin, c´est ce paisible village que les groupes juifs terroristes Etzel et Lehi avaient attaqué, le 9 avril 1948, en massacrant toute la population : hommes, femmes et enfants. Je ne rappellerai pas ici l´histoire sanglante des oreilles tranchées, des entrailles répandues, des femmes violées, des hommes brûlés vifs, des corps jetés dans une carrière, ni la parade triomphale des meurtriers.»(2)
Et que dire alors de Sabra et Chatila ? De l'invasion du Liban et des massacres actuels de la population palestinienne de Ghaza (enfants, femmes et vieillards…) ? Alors comment faire la paix dans ces conditions ? Le président Bill Clinton qui a exercé durant deux mandats n'a pas réussi. Le président Barack Obama également. Le président Biden non plus. Sous votre autorité, l’Administration américaine actuelle le pourra-t-elle ? Si, hélas, le doute est encore permis, l’espoir de paix est toujours là. Sauriez-vous le réaliser ?
En effet, pour cette question éminemment urgente (celle de la Palestine), force est d’observer également qu’avec deux mandats, l’action dans la perspective de la paix du président Obama (dont M. Biden a été vice-président) n’a pas eu les résultats escomptés. Et sans aucun doute, sa réélection n’a même pas véritablement permis de mesurer les efforts consentis pour à la fois redresser l'économie de votre pays (ce faisant l'économie mondiale), mais également à contribuer à résorber les foyers de tensions en Palestine, ainsi qu’en Irak qui a subi un assaut furieux sur la base d’un mensonge éhonté d’Etat, certes de vos adversaires politiques non inquiétés par une quelconque Cour pénale internationale. Les Etats-Unis y sont pourtant pour quelque chose dans ce chaos. Comment remettre ces pays en l'état, à un moment où, de surcroît, notre Terre est gravement menacée par ailleurs comme ne cessent de nous en aviser les experts en écologie.
Pourtant, l’un de vos concitoyens, un auteur américain (William Blum) ayant gravité dans l'Administration américaine en qualité de haut fonctionnaire, expose lucidement les intérêts de cette administration, voire de certaines couches et individualités localisées et liées aux grandes sociétés pétrolières et au complexe militaro-industriel américain.
Il est vrai que de cette même administration, force est d'observer qu’elle monopolise (pour combien de temps encore ?) la violence à l'échelle planétaire sous le couvert de «mondialisation» et agit de façon fort belliqueuse depuis 1945 afin de mettre toutes les économies considérées comme périphériques sinon à genoux, à tout le moins tournant autour de sa galaxie… Ainsi pour atteindre ses objectifs, l'auteur nous rappelle que l'Administration américaine a été l'auteur de bombardements du Japon (bombe A sur Hiroshima et Nagasaki) et du Vietnam (un million de morts et vingt ans de destruction de ce pays). Elle a utilisé de l'uranium appauvri (qui est radioactif) lors de la guerre du Golfe qui contribue encore à ce jour à la naissance d’enfants handicapés et qui meurent de cancers en Irak, ainsi que des bombes à fragmentation(3).
Il est vrai hélas que l’Amérique s’est bâtie dès l’origine sur la violence : massacre des Amérindiens dont les survivants ont été parqués dans des réserves et traite des Noirs devenus depuis afro-américains qui n’ont eu de cesse de se battre pour leurs droits civiques. Ils attendent toujours des excuses publiques de l’Etat et une juste réparation pour tous les préjudices subis.

Madame la future Présidente,
Vous avez été la colistière de Monsieur Joe Biden, lui-même ayant été vice-président d’Obama qui a pu vainement dire Yes, we can. Son successeur, autant fantasque qu’imprévisible (outre sa proverbiale misogynie) et que vous avez désormais comme adversaire, a fait d’El Qods capitale d’Israël.
Que ferez-vous lorsque vous serez Présidente ? Contribuerez-vous au règlement de cette question qui requiert diligence, sagesse et bon sens ? Il s’agit là d’un devoir de la plus haute importance, d'autant que les Palestiniens (voire les Arabes et les musulmans) n'ont pas de lobby qui œuvrent pour leur cause. Ou si peu. Combien, en effet, la Maison-Blanche compte-t-elle de collaborateurs et autres conseillers arabes et musulmans ? Qu’en sera-t-il sous votre gouvernement ?
Oui, la question palestinienne est aussi votre problème ! El Qods demeurera éternelle pour tous et toutes et non pour une communauté prédéfinie. Elle devrait être la question qui interpelle tous ceux et celles épris de paix, de justice et de liberté à travers le monde. Que la Palestine et les Palestiniens cessent d’être les otages de la politique des dirigeants des Etats les plus forts du moment dont votre pays. Ils ne veulent plus être des boucs émissaires.
Aidez-les à être des Hommes libres et à reconquérir leur indépendance. A établir leur Etat pour que la Paix règne enfin dans cette partie du globe.
A. K.
(*) Avocat-auteur algérien.
Notes
1- Ilan Pappé : Le nettoyage ethnique de la Palestine (Ed. Fayard, Paris).
2 - Israël Shamir : Les chasseurs de vampires Jaffa, le 14 mars 2001 (cité par L'Expression du 12 mai 2008).
3- William Blum : L'Etat voyou, éditions Parangon, cité dans ma contribution : «L'Irak : les leçons d'une agression» in El Watan du 6 avril 2008.



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