Alger - Patrimoine perdu, volé ou confisqué

"Derrière le coup d’éventail, le pillage du trésor d’Alger"




Le journaliste-écrivain Pierre Péan réécrit l’histoire de la prise d’Alger. Le coup d’éventail reçu par le consul de France, qui a motivé l’occupation de l’Algérie, ressemble aux armes de destruction massive irakiennes : un subterfuge pour piller les trésors de la Régence. lundi 31 janvier 2005.



Toute ressemblance entre Charles X et George Bush n’est pas fortuite. Pierre Péan en est convaincu. Un livre, Main basse sur Alger (éditions Plon) à lire au plus vite.



Vous dites que la conquête d’Alger est avant tout le grand hold-up de l’histoire, avec un butin de 4 milliards d’euros ! Il faut donc revoir nos livres d’histoire...

Effectivement, les livres d’histoire ne parlent que du soufflet donné par le dey d’Alger au consul de France, Pierre Deval, comme prétexte donné par Charles X pour partir à la conquête d’Alger. Ils ne mentionnent que peu ou pas la raison de ce soufflet. Un coup d’éventail en plumes de paon qui marquait l’exaspération du dey sur le comportement de la France et de son consul à propos du non-paiement par Paris d’une très vieille dette contractée lors des campagnes d’Italie et d’Egypte sur des livraisons de blé de la Mitidja. Un premier accord sur cette dette avait été trouvé avec Bonaparte, sans être exécuté, et un deuxième avait été passé en 1819, approuvé par les Chambres et toujours non appliqué en 1827. Le consul de France était de surcroît un affairiste qui avait gagné de l’argent dans cette opération. L’affaire du soufflet a caché une opération de politique intérieure. Charles X, qui était en grande difficulté face à des chambres où l’opposition libérale dominait, avait besoin d’importants fonds secrets pour acheter et corrompre les électeurs et les hommes politiques, et obtenir des chambres plus souples après leur dissolution. Charles X ne voulait plus de la Charte et avait l’intention de réinstaller une monarchie absolue. Or, tout le monde savait qu’il y avait beaucoup d’or et d’argent dans les caveaux de la Régence d’Alger.



En lisant votre livre, on a l’impression que Charles X peut facilement être George Bush, et que ses conseillers sont les faucons actuels de Washington. Les défenseurs de l’axe du bien existaient donc à cette époque ?

Vous avez parfaitement raison. Pendant toute mon enquête, j’ai pensé à Bush et à Rumsfeld, tant la guerre d’Irak ressemblait à l’opération sur Alger montée par Charles X et de Bourmont. Si les mots utilisés pour habiller la conquête n’étaient pas tout à fait les mêmes, ils recouvraient les mêmes idées. Charles X allait défendre la Chrétienté contre les méchants barbaresques qui attaquaient les bateaux chrétiens en Méditerranée au nom du Djihad , alors que Bush défend les valeurs de l’Occident contre Ben Laden et ses alliés qui, eux aussi, se réclament du Djihad. Le premier allait chercher de l’argent, le second allait chercher du pétrole et imposer la pax americana.



Les plus grands bénéficiaires de cette conquête sont, selon vous, les familles Sellière et Schneider. Comment expliquez-vous cette richesse ?

Charles X n’a pas eu le temps de récupérer l’argent d’Alger puisqu’il a été renversé quelques semaines après la conquête d’Alger. D’autres ont détourné cet argent. Une partie est allée au Trésor français pour payer la conquête. Le reste est allé dans des poches privées. Celle de Louis-Philippe, d’abord, qui en a pris probablement la plus grande partie. Des militaires ont pu, à leur retour, mener grand train et acheter des hôtels particuliers, des tableaux, des attelages. De Bourmont, l’homme qui a conçu le plan de la conquête et l’a réalisée, en a pris également une partie pour poursuivre son combat légitimiste et tenter d’installer le fils de la duchesse de Berry au pouvoir. Beaucoup de particuliers se sont également partagé cette manne et notamment la Maison Seillière qui avait été choisie pour assurer l’approvisionnement des 34 000 hommes et des 4000 chevaux pendant deux mois. Seillière a affrété 357 bateaux pour ce faire. Adolphe Schneider, le représentant de Seillière à Alger a permis l’évasion discrète de l’or détourné vers des ports non français et a racheté à bas prix les marchandises et objets volés par l’armée. La Maison Seillière a été ainsi un des grands bénéficiaires de l’opération. C’est d’ailleurs avec l’argent d’Alger qu’ont été financées les forges du Creusot.



Croyez-vous que l’actuel patron du Medef, le baron Antoine Seillière, soit au courant de la provenance de l’argent qui a fait la fortune de sa famille ?

J’ai rencontré le baron Seillière et je suis convaincu qu’il n’était pas au courant des conditions dans lesquelles a été mené le hold-up d’Alger et le rôle joué par ses ancêtres.



La conquête de l’Algérie devait donc s’arrêter au pillage d’Alger, des trésors de la Régence. La colonisation n’était-elle pas au programme de Charles X et de ses successeurs ?

Ne sachant pas comment allait réagir l’Angleterre, très opposée à la conquête, les buts assignés par Charles X à de Bourmont se limitaient à la prise d’Alger, au renversement du dey et à la saisie du trésor. La colonisation n’était pas encore à l’ordre du jour. La décision d’annexer l’ancienne Régence est prise seulement en juillet 1834.

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