Alger

De glace et de feu de Suzanne el Kenz Palestine, pays du thym et des oliviers


Publié le 12.03.2024 dans le Quotidien le soir d’Algérie

MERIEM GUEMACHE

Suzanne el Kenz a vu le jour à Ghaza en 1958. Cette écrivaine palestinienne a vécu dans plusieurs pays : Égypte, Arabie saoudite, Algérie, Tunisie. Elle a posé définitivement son barda en France, en 1996. L’écrivaine enseigne la langue arabe à Nantes où elle vit.
Appelez-la Hind Ghalayeni ou Mathilde Le Benn. C’est elle la narratrice du roman. Le personnage principal d’une vie triste à mourir. Une succession de journées où la douleur et la monotonie font corps.
Hind, 35 ans, devenue Mathilde après sa naturalisation, est clouée sur un lit d’hôpital de la ville de Nantes (France). Atteinte d’une leucémie, elle gamberge, faute de pouvoir gambader. La narratrice rêve de se fondre dans les glaciers. La Palestine, son pays natal, fleuri de thym et d’oliviers, occupe ses pensées. «Ah mon pays, ce petit pays à densité dramatique, vous dirai-je le nom ? Ou bien faudra-t-il que je le taise ? Ce pays de Terre sainte, autant sainte que ceinte. Ce pays où serait né Sidna Aïssa, dit Jésus, Moussa, dit Moïse, ainsi que tant d’autres, tous prophètes ou presque, avec des histoires d’arche de Noé, et ce monsieur Jonas entré et sorti du ventre d’une baleine.»

La narratrice a la certitude que ses jours sur terre sont comptés. «Désormais, elle faisait partie des gens couchés et contemplatifs.» Elle essaye d’apprivoiser le mal incurable qui la ronge. «Il fallait aussi accepter son statut de malade, ce qui voulait dire accepter son statut sans vanité d’être le numéro d’un lit d’hôpital et pourquoi pas d’être un déchet aux yeux des biens portants.» Elle rêve de retrouver le train-train quotidien d’une vie ordinaire, hors des murs de l’hôpital. «Comme j’aurais voulu m’étourdir dans les banalités de la vie. Courses, balades, voyages, trains, bus, café, déjeuners et autres occupations des gens dits normaux.»

Deuxième personnage-clé du roman : Lamour. A 40 ans, ce Français ne fait rien de ses journées à part regarder par la fenêtre un chat qui se balade sur le toit de la maison d’en face. Un travail, il en avait un bien sûr, jusqu’au jour où son patron l’a licencié pour faute grave. Mal dans sa peau, le jeune quadragénaire fait le vide autour de lui. En dehors de son oncle Ben, qui continue à le soutenir financièrement, il ne voit personne. Il a même coupé les ponts avec Chantal, sa mère, raciste jusqu’au bout des ongles. Petit, il avait habité dans une HLM où plusieurs nationalités se côtoyaient «Tout ennuyeux et taciturne qu’il était alors, il savait apprécier les sonorités des différentes langues qu’il entendait autour de lui. Les bienfaits de la mixité sociale, comme disent les politiques. Il s’était fait des amis : des Camerounais, des Sénégalais, des Laotiens, des Vietnamiens, des Arabes du Machreq mais surtout du Maghreb.»

Mathilde Le Benn va recevoir la visite de Lamour. La patiente est complètement déroutée par la présence de ce type qu’elle voit pour la première fois. Il lui explique qu’il l’avait repérée, un an plus tôt, dans une fête des langues et qu’elle n’a cessé d’occuper ses pensées depuis. Le voilà qui débarque chaque jour dans sa chambre, à l’heure des visites hospitalières, avec tantôt une fleur, tantôt un poème ou encore un coffret de thés rares. «Bien des questions tournaient en rond dans sa tête : pourquoi avait-il délaissé sa mère ? Pourquoi s’était-il entiché, et le mot était faible, de cette dame, jusqu’à aller la trouver à l’hôpital alors qu’il ne l’avait vue qu’une seule fois?...»

Elle est déboussolée par cet être étrange et se demande ce qu’il peut bien lui trouver, dans cette situation. Elle lui pose la question sans détour : «Pourquoi Lamour es-tu si proche de moi? Ne vois-tu pas dans quel état je suis? Qui voudrait d’une femme comme moi ? Je ne suis qu’une racaille d’être humain, quelques restes en partance vers l’inconnu.»

Pourquoi ce Français s’est-il entiché d’elle? «Je me demande qui je suis. Qui suis-je pour lui (...) Oui, comme cela fut jadis, oh! il n’y a pas si longtemps de cela, ma terre, celle des brouteurs de thym, tout mon pays que d’autres s’approprient sans que quiconque lève le petit doigt. Mon pays, le maillon faible de la chaîne.»

Au fil des jours, Mathilde assiste à un étrange phénomène. Sur son crâne, à la place des cheveux, poussent des branches de thym. La patiente refuse alors toute visite, y compris celle de sa famille. Lamour est également «blacklisté». Toutefois, l’amoureux transi ne l’entend pas de cette oreille. «Il revenait tous les jours, s’entêtait et insistait pour la voir. Il appuyait sa tête contre les murs, fermait les poings en un geste de colère, pleurait puis se mettait à l’appeler doucement. Rien n’y fit, on ne le laissa pas entrer. On le menaça d’appeler les forces de l’ordre. Il se ravisait alors, et, tout penaud, trainant la savate, il rentrait chez lui.»

La descente aux enfers commence alors pour Lamour.
Une histoire étrange et insolite qui vous tiendra en haleine, de la première page à la dernière.

Suzanne el Kenz a reçu le Grand Prix Yambo-Ouologuem en 2010 pour son premier roman La maison du Néguev (Apic Èditions). La sortie de ce nouveau roman coïncide avec la guerre menée par Israël contre les Palestiniens, dans la bande de Ghaza.

Meriem Guemache

De glace et de feu de Suzanne el Kenz. Èditions Barzakh. 2023. 177 p. 900 DA.

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