Publié le 14.10.2024 dans le Quotidien l’Expression
Aujourd'hui, tous les pays sont impliqués dans une compétition sans merci où chacun a ses propres objectifs, ses intérêts et ses motivations. L'inaction, la désinvolture, l'imprévoyance ne sont pas permises parce qu'elles conduisent tôt ou tard à l'affaissement. Si parmi ces pays certains fonctionnent d'une manière convenable, c'est qu'ils ont assumé leurs fragilités intrinsèques et tiré avantage de leurs atouts en mobilisant leurs forces vives. Ils n'ont pas attendu de frôler l'impuissance ou de percuter le mur pour agir.
À chaque fois qu'ils ont senti le mal venir et leurs forces s'en aller, ils ont réagi afin de mieux gérer leurs affaires et d'anticiper les risques pour ne pas se laisser surprendre. De plus, leurs gouvernants qui ont ressenti les évolutions de la société, ont décidé d'en adapter les règles et les façons d'opérer. Les choses se sont passées différemment dans la plupart des pays nouvellement indépendants où les peuples s'en sont remis pour tout à un État entrepreneur, développeur et dirigiste conçu selon le modèle socialiste. Mais ce modèle s'est essoufflé dans le courant des années 1980 avant de succomber en 1989 aux excès bureaucratiques qui l'ont avili, laissant derrière lui une déception populaire à la mesure de sa générosité.
C'est dans ce contexte que l'Algérie a engagé des réformes inspirées par l'idéologie du marché brandie énergiquement par les néolibéraux R. Reagan (1981-1989) et M. Thatcher (1979-1990) avec l'appui du FMI et de la Banque mondiale. Ces réformes ont buté à leur tour sur des clivages politiques profonds, consécutifs à l'écroulement du parti unique.
On sait ce qu'il en est advenu et comment les choses ont évolué entre 1990 et 2020 dans des circonstances marquées par des tensions et des hésitations qui, malgré maintes avancées, ont rendu impossible une réforme de grande ampleur de l'État et des collectivités locales, alors même que le retard pris ne faisait que renforcer la résistance au changement. C'est pourquoi le président de la République a décidé le 3 octobre 2024 de confier à une commission la refonte des textes sur la commune et la wilaya. D'entrée de jeu, cette commission va se trouver en présence des causes profondes d'un trouble bien réel de la vie locale où s'entremêlent des dérèglements, une incurie, une routine, une mentalité, un laisser-aller et des lacunes quant à l'éthique, entassés au fil du temps et que le droit s'est avéré impuissant à réguler.
Ceci a pour corollaire un engourdissement des composants territoriaux de l'État, sinon une érosion de leur légitimité. Tels sont en peu de mots les symptômes du mal dont ladite commission aura à dresser un diagnostic et à prescrire des remèdes. Dans cette optique, de nombreux sujets seront abordés sachant que ce dossier est lourd d'implications politiques, juridiques, administratives, financières, fiscales, techniques, économiques, humaines, voire psychologiques. Il y sera sûrement question de décentralisation et de déconcentration, c'est-à-dire de relations entre l'État et les collectivités locales; entre celles-ci, les citoyens et les acteurs économiques. Autant de sujets qui convergent vers une seule question: pourquoi cette réforme? Au-delà du fait qu'elle découle d'une promesse électorale et d'une crise manifeste de la gestion locale, c'est aussi une nécessité stratégique en tant que soubassement de l'État de droit résultant de l'idée de «société nouvelle» évoquée en 2021 et qui ne prendra nécessairement de l'élan qu'à partir de la base. En l'occurrence, la démocratie représentative peine à s'affirmer au niveau national parce qu'il lui faut du temps pour grandir, et aussi parce que les citoyens s'en désintéressent visiblement de jour en jour. Elle est d'ailleurs malade même dans les pays avancés où, de plus en plus, la démocratie locale et la démocratie participative marquent des points à travers la décentralisation. Celle-ci bénéficie en Algérie d'un statut constitutionnel qui autorise à agir sans tarder afin de ranimer la vie territoriale, de corriger les pesanteurs de la centralisation administrative et d'une bureaucratie étouffante qui pénalisent à la fois les exécutifs locaux, les citoyens et les entrepreneurs. Si la justesse de la réforme de la commune et de la wilaya ne fait aucun doute, le problème réside dans l'ampleur qu'elle prendra étant donné la diversité des sujets qu'elle englobe.
Cela va des structures aux organes de contrôle, en passant par les modes opératoires, les prérogatives, la tutelle, les finances, la fiscalité, l'encadrement, l'équipement local, le tourisme, l'action intercommunale, le patrimoine, les élections, le découpage administratif, l'urbanisme, l'aménagement de l'espace, la politique foncière, la régionalisation, l'information... qui font la texture de l'assise de notre État. Très objectivement, le choix porté sur Dahou Ould Kablia pour piloter la commission est congruent. Il s'agit d'un homme d'expérience et d'action dont la sagacité et les qualités humaines, ainsi que l'intelligence à la fois théorique et concrète, seront utiles. Dans son parcours peu commun, il a démontré un sens aigu du service public, un souci de l'efficacité et une maturité politique que son engagement incessant envers l'État ont rendu possibles. Quant à l'âge, c'est à coup sûr «une acquisition de valeur et de sagesse» (A. Einstein).
* Membre du Conseil de la nation
Hachemi Djiar
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Posté Le : 16/10/2024
Posté par : rachids