Du picaresque
chtawala de nos amis de l'Ouest au très citadin Iheb Ighoul des enfants de
l'antique Mezghena, ou le tonitruant Yi..HA de ceux de l'Est en passant par les
Zaama, dial, ou l'inénarrable kima igoulou Djelfaoui et d'autres termes encore,
mais en plus « salé », il y a tout un arsenal de locutions avec lesquelles on
étaye machinalement son discours lorsqu'on se trouve un peu loin de ses bases
habituelles.
Ces étranges
tournures, ancrées depuis la nuit des temps dans nos us, traduisent, en
fonction des circonstances, souvent un état d'esprit qui peut susciter une
franche rigolade sur la truculence de l'accent du terroir ou une pointe
d'agacement lorsque la discussion en est saturée. Leur utilisation peut être
générée par le trouble lié à un environnement inconnu, donc potentiellement inhibiteur
dans lequel les plus grands érudits perdent parfois leurs moyens, ou tout
simplement l'indigence de la langue parlée.
Comme les
béquilles, on les utilise pour assister ses pauvres jambes qu'elles ne pourront
cependant jamais égaler !
La réalité laisse
apparaître l'incapacité de notre capital linguistique à formuler nettement une
idée sans recourir à des mots étrangers. Une inadaptation de vocabulaire
manifeste lorsqu'on se compare avec nos voisins qui eux, par contre, semblent
disposer d'une fluidité verbale autrement plus élaborée que la nôtre.
Hormis les
tribuns de carrière, le reste des Algériens montre de sérieux handicaps dans
l'expression orale surtout en langue classique. Est-ce dû au manque de pratique
ou à l'absence d'un véritable bain linguistique. Il est vrai que la langue
académique est rarement utilisée dans les échanges oraux sauf dans des
circonstances bien déterminées ou des milieux presque ésotériques. En passant à
côté d'un établissement scolaire où les études se font majoritairement en
langue arabe, on est franchement étonné de voir une bonne proportion
d'écoliers, surtout les filles, s'exprimer sans aucune difficulté en français
comme s'il s'agissait de leur langue maternelle. Par quelle recette est-on
arrivé à pratiquer et avec quelle aisance une langue qu'on étudie en appoint et
qu'on fait naufrage lorsqu'on s'essaie dans sa langue fondamentale ?
L'origine de
l'émulation se confond peut-être avec l'irrépressible nécessité de frimer la
nouvelle classe sociale qui commence à imposer son ascendance et ses canons
comportementaux au reste de la société par l'adoption de signes distinctifs,
dont le langage.
Plus on gravit
les degrés de la fortune ou de la notoriété, plus on s'éloigne de la langue
arabe qui devient ainsi le mode d'expression des nouveaux prolétaires.
Parler à son bébé
ou à sa grand-mère juste descendue de sa montagne, en langue étrangère, semble
représenter pour certains le must de l'émancipation et de l'ouverture et
devient le label de la nomenklatura !
Dans la vie
courante, tous les formalismes sont bannis. Ce n'est même plus le francarabe
qui a droit de citée, mais le francalgérien : un cocktail détonnant au relief
bigarré genre : el auto crazate elmotard fi elgoudrou (l'auto a écrasé le
motocycliste sur le goudron). C'est devenu la langue fonctionnelle par défaut
la plus utilisée pour enjamber les tabous entretenus par les gardiens du
temple. La revanche des laissés-pour-compte en quelque sorte.
Devant un micro
ou une assemblée quelconque, si on n'est pas bardé en stéréotypes religieux et
politiques et d'une bonne dose d'audace on perd carrément ses moyens, on se
noie au point de perdre le fil de ses idées.
L'ostracisme
développé par certains, le singularisme par d'autres constituent les principaux
facteurs d'étouffement de l'expression spontanée qui s'enferre alors dans tous
les tamis qu'on s'impose presque volontairement pour ne pas heurter un
cabotinage ridicule en pleine floraison.
Alors qu'un
dialogue de scène en français ou en... égyptien parait des plus normaux et
soulève peu de critique, on ne peut s'empêcher de lui trouver un brin de
pédantisme lorsque celui-ci est élaboré en arabe classique ! Si dans tous les
autres pays on est arrivé à constituer un fonds oral commun, une sorte de
langue consensuelle rodée et adoptée par tous, chez nous l'usage abusif d'un
langage emprunté à une religiosité à fleur de peau condamne la plus grande
partie de l'auditoire au décrochage. Que d'intelligence et d'énergie ainsi
marginalisées !
Que de débats et
de discussions prometteuses se sont transformés en réunions d'initiés stériles
d'où sont exclus les meilleures pertinences.
En réaction, sans
doute, le côté charnel avec la langue arabe tend à s'estomper pour la placer au
même niveau affectif que les autres langues sinon plus bas. On constate que le
lien organique qui existait avec cette langue s'est effiloché et est moins
intense que pendant la période coloniale où l'on rivalisait d'efforts pour se
former et s'exprimer en langue arabe.
Maîtriser la
langue du Coran conférait une grande considération dans la société, en témoigne
la place particulière qu'on réservait aux taleb de nos Médersa.
Sans conteste,
elle restera l'une des raisons, sinon la principale, qui a donné ses lettres de
noblesse au fameux lycée « Franco-Musulman » de Ben Aknoun (FMBA) et de l'aura
particulière dont jouissaient ses pensionnaires.
Une grande partie
des fleurons de la culture arabe et du nationalisme venait de ce prestigieux
établissement qui avait le secret de « poinçonner » à jamais ceux qui avaient
eu l'insigne chance de le fréquenter. Le FMBA'man existe, je l'ai rencontré !
C'était une
fierté d'appartenir à ce monument qu'on évoque avec beaucoup de déférence. Ses
lauréats étaient toujours cités avec beaucoup d'admiration comme référence dans
la maîtrise de la langue arabe autant que les autres matières enseignées en
plus de la formation d'un modèle de conduite morale exemplaire.
Imaginer une
discussion entre plusieurs de nos compatriotes venant de régions différentes.
Au démarrage, chacun essai de limer les aspérités de son particularisme oral,
puis dans le feu de la discussion, pour peu que les échanges deviennent plus
passionnés, on s'oublie pour retrouver ses réflexes ataviques en s'exprimant
dans le patois du terroir et subitement, comme par accord tacite, on recourt
au... français et parfois à l'anglais pour conforter une thèse en débat.
Malgré tous les
mérites qu'on lui reconnaît, il est hasardeux de trouver quelqu'un capable de
préciser son idée en utilisant la langue arabe classique !
Hormis nos
campagnards qui n'éprouvent aucun complexe dans leur façon d'engager un brin de
causette, le reste des Algériens manque singulièrement d'authenticité dans sa
façon de s'exprimer naturellement. On ressent l'absence criante d'un fonds
langagier commun, d'une langue conviviale qui permettrait au président de la
République d'utiliser librement, pour s'exprimer, les mêmes termes que le
citoyen lambda.
Communiquer c'est
être avant tout accessible et la langue capable de véhiculer harmonieusement
nos idées est la mieux appropriée en dehors de tout maniérisme émasculant ou de
querelle de clocher.
Quel est celui
qui pourrait se rappeler au moins d'une phrase en arabe classique puisée dans
tel prêche ou tel discours. Mais par contre, qui peut oublier la charge
émotionnelle irradiée par la fameuse phrase « Aângar tarbouchec a ba» ! Un
slogan électoral percutant concocté par les services de communication bien au
fait des cordes sensibles de la société. Non seulement, il avait fait mouche
dans tous les esprits à l'époque, mais il est devenu un leitmotiv qu'on peut
entendre dans n'importe quel coin du pays. Malgré l'érudition des Egyptiens,
par exemple, en langue arabe classique autrement plus importante, la
communication orale se fait en langue courante comprise et utilisée par tout le
monde sans exclusive (discours politiques, scénarii, dialogues... etc.).
Pourquoi chez
nous on continue de cultiver la fâcheuse obsession de toujours verser dans
l'excès et que certains veulent être plus Arabes que les Arabes et plus
Musulmans que les Musulmans.
Soyons Algériens
c'est tout.
Avec mes
meilleures salutations à toute l'équipe de notre Quotidien !
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Posté Le : 25/06/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Amara Khaldi
Source : www.lequotidien-oran.com