La tribu El Ouffia d’El Harrach a été massacrée sur un soupçon, sous les ordres du général Savary, Duc de Rovigo. C’était à l’aube d’un 7 avril de l’année 1832, deux années après la prise d’Alger.
Nous sommes à peine à quelques mois de la chute d’Alger. L’armée française a déjà moult fois prouvé qu’elle ne respectait pas le traité de capitulation. Passées les premières semaines d’expectative, les algériens ont compris que rien ne sera plus jamais comme avant.
Après l’entrée du corps expéditionnaire français dans la ville d’Alger, Ahmed Bey retourne à Constantine pour organiser son beylik et appeler les tribus à la résistance. Il destitue Ferhat Bensaid, le cheikh des arabes du Sahara et nomme à sa place son oncle, Mohamed Bengana.
Bensaid offensé et désespéré de ne pas pouvoir renverser le bey, décide de s’allier aux français. C’est ainsi qu’il envoi une ambassade au duc de Rovigo pour le convaincre de marcher sur Constantine. Cette ambassade est reçue en grande pompe le 5 avril 1832 et malgré une réponse pour le moins évasive, ses membres repartent chargés de présents.
Sur le retour, en passant par El Harrache, l’ambassade est attaquée par des brigands et dépouillées de son chargement. Cela se passe sur le territoire des Ouffias « petite peuplade nomade qui campait à peu de distance de la Maison-Carrée », raconte Pellissier de Reynaud.
Rovigo est mis au courant. Il décide, sans la moindre preuve, de châtier la tribu présumée coupable et envoie le soir même ses troupes, composées de 800 militaires du 1er chasseur d’Afrique et du 3ème bataillon de la légion étrangère, menés par le général Faudoas.
Le 7 avril, à l’aube, les Ouffias sont surpris dans leur sommeil et égorgés un à un. «Tout ce qui vivait fut voué à la mort. Tout ce qui pouvait être pris fut enlevé. On ne fit aucune distinction d’âge ni de sexe. Cependant, l’humanité d’un petit nombre d’officiers sauva quelques femmes et quelques enfants. En revenant de cette funeste expédition, plusieurs de nos cavaliers portaient des têtes au bout de leurs lances. Et l’une d’elle servit, dit-on, à un horrible festin ».
Le chef de la tribu, Rabie Ben Sidi Ghanem, est soustrait au carnage. On lui réserve les honneurs d’un jugement.
Hamdane Khoudja raconte : « Tout le bétail fut vendu à l’agent consulaire du Danemark. Le reste du butin, sanglantes dépouilles d’un effroyable carnage, fut exposé au marché de la porte Bab Azoun. On y voyait, avec horreur, des bracelets de femmes encore attachés à des poignets coupés et des boucles d’oreilles pendant aux lambeaux de chair. Le produit de cette vente fut partagé entre les égorgeurs. »
Dans « L’Afrique Française », le voyageur Pierre Christian raconte aussi : « Un ordre du jour du 8 avril, consacrant une telle infamie, proclama la haute satisfaction du général pour l’ardeur et l’intelligence que les troupes avaient montrées. Le soir, sa police ordonne aux Maures d’Alger d’illuminer leurs boutiques et de les tenir ouvertes plus tard que de coutumes ; et à la même heure, par les mêmes ordres et par les soins de la même police, l’honorable baron Pichon, conseil d’Etat et intendant civil, qui avait le tort de déplorer l’outrage fait au drapeau de la France, fut contraint de subir, dans la cour de sa maison, une sérénade mauresque en réjouissance de cet affreux événement ».
Le cheikh des Ouffias, Rabi Ben Sidi Ghanem, est traduit devant un conseil de guerre, jugé, condamné et exécuté. Sa tête roulant, le 19 avril à midi, devant la porte Bab Azzoun, est un cadeau offert aux convenances personnelles du duc de Rovigo. Parce qu’il est déjà établit que les Ouffias n’y sont pour rien dans le vol des émissaires Farhat Bensaid.
L’un des juges avoua à un groupe d’officiers, parmi lesquels Eugène Pélissier de Reynaud : « Acquitter le chef, c’était déclarer la peuplade innocente et condamner moralement ceux qui en avaient ordonné le massacre. »
On ignore, deux siècles plus tard, le nombre des victimes de ce massacre. Les militaires français parlaient de 60 pour certains, ou à peine plus pour d’autres. Mostefa Lachref avance le chiffre de 12.000 âmes. Une chose est sûre, une tribu entière a été décimée en quelques heures. Hamdane Khodja disait à propos de cette tragédie qu’elle « formera dans l’histoire des peuples de notre région une page sanglante, et peu de personnes voudront croire que ce fait a eu lieu dans le XIXè siècle, époque de la liberté et de la civilisation européenne ».
Effectivement le massacre de la tribu des Ouffia a soulevé, à l’époque, l’indignation de beaucoup de français et d’européens. Quand aux algériens, cette tragédie les a convaincues qu’il fallait mener un combat acharné contre cet état qui se réclamait des droits de l’homme et qui admettait de tels actes soient menés par ses militaires.
Le massacre des Ouffias est resté dans la mémoire des algériens quelques décennies avant de se perdre en chemin. Il subsiste encore dans des ouvrages-témoignages algériens et français, mais reste, malheureusement, absent du manuel scolaire d’histoire…
Sources :
« Le Miroir », Hamdane Khodja, éditions Sindbad, préface de Abdelkader Djeghloul
« Annales algériennes », E. Pélissier, Edition de 1936, tome 2
« L’Algérie, nation et société », Mosetfa Lachraf, édition Casbah
« Revue des Deux Mondes », 1860 et 1885
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Posté Le : 13/04/2021
Posté par : patrimoinealgerie
Ecrit par : Zineb Merzouk
Source : babzman.com