A la mémoire de Hamid Kechad
par Abdelkrim DJILLALI
Artoufet Hamid !
Et là, encore une fois, bien plus fort que moi, le souvenir des moments heureux mais aussi des jours sombres qui ont tant endeuillé notre pays. Il y’avait heureusement ton impertinence joyeuse et, comme toujours, les mots pour rire du mauvais sort. Les moments les plus durs, les plus insoutenables, les lendemains de massacre dans cette Mitidja que nous avons tant aimé, tu t’accrochais au devoir de témoigner. Porter seul sa peine devant l’horreur, faire son papier et avancer. A Boumedfaa, Ain Dem, à la libération de Larba des crocs du GIA, en remontant l’Oued El Harrach jusqu'à Tabainet, où cette nuit là justement, tu t’étais retrouvé, une arme à la main, à la tête des villageois pour repousser plusieurs attaques terroristes. Cela avait duré toute la nuit et au petit matin, tu étais au café à rire aux larmes de ta peur et de ta conquête du courage. Tu étais heureux, comme ces villageois qui avaient pris la première fois les armes, d’avoir surmonter l’épreuve. Depuis, les terroristes ne sont plus revenus. Oui Hamid, oui, le malheur n’est pas une fatalité.
Bien plus tard, à Haouch Grau, autour d’un feu et le souvenir des amis morts au combat, tu riais encore de toi-même, jamais des autres et dans la délectation partagée de ton intarissable don de conteur tu étais griot décalé, médecin de l’âme, marginal impertinent, fou et sage à la fois. Contre la bêtise et la barbarie tu n’a eus pour unique secours que ta profonde et incorrigible humanité.
Homme humble qui aimait les humbles et les petites gens, totalement installé dans le parti pris des faibles et des démunis, tu étais de tous les engagements pour la justice et la liberté. Dans les années 70 contre les intégristes qui voulaient déjà imposer leur hégémonie totalitaire, contre le parti et la pensée unique, étudiant volontaire, militant communiste dans le défunt PAGS, tu avais fais tes classes à l’école de la clandestinité rude et âpre et conforté une âme généreuse, pas l’âme d’un soldat. Anarcho-syndicaliste sur les bords, franc tireur, nourri à l’utopie humaniste, universaliste et viscéralement attaché aux racines et aux sèves de la culture populaire maghrébine. Le look vieil Alger et enfant de Douaouda, fier descendant de la tribu des Beni Slimane sur les hauteurs de Tablat et de cœur, aussi vaste que fragile, targui des monts de l’Atakor, musicien des Kel Iherir ou même poète caravanier, digne fils de Kenadsa, remontant la Saoura jusqu’au Tafilalet. Heureux dans les cafés de Bel Abbés ou de Constantine, partout où tu était, sur la route du rai ou du Tindé, de l’Ahellil ou du Chellali tu as fais découvrir à des générations d’algériens des chants millénaire qu’ils n’avait jamais entendus jusque là. Enfant d’Alger, tu avais une place à part pour le Chaabi, sans ornières, comme nous l’avait appris Bachir Hadj Ali. Tu as aimé la musique, comblé, dans une Algérie véritable continent musical.
Diabétique dépendant depuis prés de trente ans, tu as mené un combat de tous les jours, pour dompter la maladie sans jamais l’accepter ni te plaindre même aux pires moments de ton corps terrassé par la douleur. Stoïque, d’un courage exemplaire, tu avais le sourire intérieur pour rassurer les amis comme Alloula qui disait, quand son ulcère le tenaillait : C’est mon petit chien qui a faim. Passé la crise, tu reprenais ton travail, sans rechigner à l’effort, reporter consciencieux, tu as fais, toi aussi, ta part des belles pages de la presse algérienne.
Tu vois Hamid ce soir j’ai le blues et j’ai le chant triste comme dans une qacida d’El Anka ou un gharami d’Amar Zahi, comme eux poète de ta vie jusqu'à l’ultime instant où ton corps t’as quitté. J’ai le blues et m’interroge comment et pourquoi, dans la force de l’âge et la plénitude de tes moyens, il t’a fallut une aussi grande peine pour pouvoir travailler, écrire et témoigner des pulsions qui ont fait, à chaque fois résister ce pays. Tu as aimé ce pays comme tu l’entendais, fidèle au vœu et à la prière de Khalil Djibran qui disait : « Je ne demande pas à mon pays de me donner, mais de prendre ce que je lui donne. » Et tu as tout donné. Que Dieu t’accueille en son vaste Sahara, el afia, pars en paix, vieux frère, car, maintenant que tu habite l’esprit, rappelles nous, si nous nous assoupissons, qu’il n’y a pas de paix sans la liberté.
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Posté Le : 15/01/2008
Posté par : dhiab
Ecrit par : Abdelkrim Djillali