Alger - Bandes dessinées et caricatures

Ali Dilem, 10 000 caricatures et 50 procès



Ali Dilem, 10 000 caricatures et 50 procès
Prix international du dessin de presse en 2001. Grand Prix de l'Humour Vache au 26e Salon international du dessin de presse et d'humour de Saint-Just-le-Martel en 2007. Dilem, dont les caricatures paraissent dans le quotidien algérien Liberté et dans l'émission de télévision Kiosque sur la chaîne TV5, n'a pas oublié de rester humble. Rencontre avec un dessinateur qui depuis ses débuts au sein du Jeune indépendant en 1990 n'en finit pas, malgré les procès et les menaces, d'aiguiser son crayon pour mieux croquer le pouvoir algérien.

Ali Dilem est un homme très occupé. Après de longues tractations, il nous reçoit début mars chez lui. Aucun dessin exposé, aucun prix ou trophée visible dans son salon surplombant les hauteurs d'Alger. Pudeur ou bon goût ? « J'ai eu au début la grosse tête, c'est fini maintenant ! », confesse-t-il. Pourtant le temps n'a pas eu raison de sa fougue de titiller le pouvoir algérien. Mêlant arabe et français, s'aidant de ses mains quand les mots manquent, le dessinateur tranche dans le vif, comme il croque la réalité de son pays, par coups incisifs.
Il produit un dessin par jour pour le quotidien Liberté qui a parfois du mal à gérer l'impétueux caricaturiste. Dilem, réputé pour son « sale caractère », se braque à la moindre tentative de censure : il préfère subir les foudres des autorités que de retirer un dessin. A son palmarès, une cinquantaine de procès en diffamation. Le dernier en date est en appel ; six mois de prison ferme requis contre lui pour une déclaration sur le président de la république dans journal Le Matin en 2004. Ces procès, initiés par la présidence de la république ou le ministère de la défense nationale, n'ont pas réussi à dompter son crayon mais finissent par l'épuiser.
Presque chaque semaine, il doit se présenter au tribunal et attendre de 8 heures du matin Ä￾ 17 heures, avec toutes sortes de délinquants et de présumés criminels, avant de passer devant le juge. Une perte de temps et d'énergie insoutenable pour ce stakhanoviste qui comptabilise 10000 dessins en vingt ans de carrière.
« Je crois en la justice », dit Dilem, « mais pas en la justice algérienne ». Désabusé, il l'est aussi ă l'égard la presse de son pays. « Elle a le mérite d'exister, mais quand on arrive dans un pays à lancer un journal comme on ouvre une boutique de chaussures.... Il faut être raisonnable : les deux tiers de la population ont moins de 18 ans. C'est une population qui, brisée par quinze ans de violence et de sang, a d'autres chats à fouetter que de s'émouvoir de notre sort, le mien ou celui de Chawki Amari (chroniqueur du journal El Watan qui vient d'être condamné à six mois de prison ferme). Et puis ce que nous racontons dans les journaux ne pèse pas grand-chose face à la rumeur et même à la télévision », poursuit-il. Sans fausse modestie, ce n'est pas le genre de Dilem, il se demande « qui suis-je finalement sinon un dessinateur de mikiyates [NDLR : vocable dérivé de Mickey désignant les bandes dessinées en dialecte].
Pourtant ses « mikiyates » constituent l'un des rares espaces de libre expression et traite de sujets loin d'être humoristiques. Dilem n'a pas hésité à soutenir les caricaturistes danois auteurs des dessins jugés blasphématoires sur la personne du prophète Mohamed. « Non pas par provocation, comme l'ont fait certains relais de ces caricatures, mais par conviction que la liberté d'expression doit être défendue et préservée », explique-t-il.
Son combat, mot qu'il n'aime pas utiliser, Dilem le mène aussi via des expositions organisées sous l'égide des Nations Unies pour la journée des Droits de l'Homme, des Droits de l'enfant ou des organisations non gouvernementales. Il se prépare d'ailleurs pour une manifestation avec plusieurs dessinateurs à Ramallah. C'est le genre de défi qu'il affectionne particulièrement : atterrir à l'aéroport de Tel-Aviv pour aller ensuite dire en territoire palestinien ce qu'il pense de l'occupation israélienne « mais ça ne m'empêche pas d'être ami avec un caricaturiste israélien ». Dilem a une sorte de philosophie de vie qui consiste à dialoguer et interpeller ceux qui lui semblent les plus éloignés de ses propres positions. « A Atlanta, en Australie ou au Canada j'ai adoré raconter mon pays, dire ce que nous pensons, nous, ici, du monde. Je leur parle de Larbi Ben M'hidi [NDLR : figure emblématique de la guerre d'indépendance algérienne] et en ces moments-là je suis fier d'être algérien».
A ceux qui lui demandent pour quelle raison il reste en Algérie que tous les jeunes rêvent de quitter, Dilem répond invariablement « un de mes rares motifs de fierté est d'avoir vécu en France deux ans et d'être rentré au pays. Je ne pouvais pas couper avec un peuple, mon peuple, avec lequel je dialogue quotidiennement. Au risque de paraître populiste, je suis convaincu que le renouveau viendra du peuple et non pas de la classe politique ou intellectuelle inexistante par ailleurs ».
Une institution Dilem ? Beaucoup le pensent. Pas lui « Bien sûr j'aimerais transmettre mon expérience à des jeunes, s'ils le veulent bien, mais je suis loin d'être un modèle. Quand on a côtoyé des monuments de la caricature comme Plantu par exemple on se dit qu'il faut rester humble ! Je n'oublie pas que j'ai commencé le dessin pour dialoguer pas pour dénoncer, pas pour donner des leçons. S'il m'arrive de le faire, c'est toujours dans un esprit de communication », explique ce quadragénaire. Il rit puis ajoute « quand j'étais plus jeune, je faisais beaucoup de bêtises mais je ne savais pas que je pouvais être payé pour le faire une fois grand ».






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