Alger - Patrimoine Historique

Alger - SES MAISONS S’ÉCROULENT SUCCESSIVEMENT: La Casbah se meurt dans le silence



Alger - SES MAISONS S’ÉCROULENT SUCCESSIVEMENT: La Casbah se meurt dans le silence


Un effondrement de trop! Une bâtisse inhabitée dans le style architectural dit “colonial”, s’est écroulé ce vendredi 5 juin vers 10h au 32, rue Rabah-Riah (ex-Porte-Neuve) dans la Haute-Casbah. L’irréparable est survenu à un moment où l’afflux piétonnier vers le marché des légumes et fruits de la rue Ammar-Ali dit Ali La Pointe (ex-Randon) était heureusement faible, a-t-on su des riverains de l’îlot de la “Mer rouge”. Toutefois, l’éboulis aurait été fâcheux, voire “assassin” pour les voisins d’en face qui habitent à l’angle de la rue Yacef-Mokrane (ex-Amfreville), s’il n’y avait pas assez d’espace pour amortir l’onde de choc lors de la chute d’énormes blocs de pierres.

“Mon neveu a juste eu le temps d’évacuer ses trois filles”, a-t-on su de son oncle que nous avons rencontré sur le lieu boueux du sinistre. Pendant ce temps, des femmes tentent de réconforter une mère et son bébé qui pleuraient à même une marche d’une échoppe de couturière: «J’ai été évacuée de mon logis au lendemain du tremblement de terre du 1er juin 2014, pour y être hébergée à titre temporaire dans la petite mosquée d’à côté avec la ferme promesse d’un relogement décent, mais en vain! Mais, c’est parce qu’il n’y a pas eu mort d’homme que le P/APC de La Casbah n’a pas daigné venir s’enquérir sur notre sort”.

Et en guise de visite, il n’y a eu que celle d’un rond-de-cuir dépêché pour s’enquérir surtout de l’état des lieux et de l’exactitude d’un recensement malmené par le squat. “C’est pour identifier le plus souvent des squatteurs qui occupent les maisons abandonnées par leurs propriétaires et qui bénéficient ainsi d’un hypothétique relogement. A ce titre, le relogement à La Casbah a généré le distribution de 12.000 logements”, a assuré l’architecte-urbaniste Akli Amrouche.

. L’eau, cette calamité

Et à y voir l’état boueux du sol, force est de conclure que “l’orage de la veille a été fatal à cet édifice vétuste et déjà abîmé par les séismes du 21 mai 2003 et du 1er juin 2014”, a affirmé un jeune riverain pour qui l’ondée est un cauchemar. Fini donc l’époque où le “djeb” (réservoir) se remplissait à l’aide de la captation de l’eau pluviale. “Les eaux de pluie et de ruissellement étaient toutes canalisées dans les ruelles pavées et le fait qu’il y ait autant de parcelles laissées vides telles des dents creuses favorise l’infiltration de l’eau de pluie dans les sols via les parcelles vides et fragilise ainsi le sous-sol de toute La Casbah”, fera savoir l’architecte Samia Slimani.

C’est aussi l’avis étayé d’Akli Amrouche, le directeur du magazine Vie de ville : “En l’absence de maintenance du bâti, les infiltrations d’eau du sous-sol et des toits finissent par détériorer tout ce qui est encore debout. Et l’anarchie qui entoure les rajouts illicites de constructions sur les terrasses n’est pas faite pour arranger les choses.” A propos de “tahtahate” placettes) héritées des effondrements, “il doit y avoir dix hectares de terrains vides sur l’ensemble du périmètre ; les îlots normalement solidaires structurellement, se désagrègent inexorablement et les drames se succèdent.

Ces écroulements ne sont pas près de s’arrêter si des décisions courageuses ne sont pas prises”, a tenu à préciser notre interlocuteur. Il est vrai qu’il y a aussi la part d’irresponsabilité du Casbadji. “La chaux est un matériau qui résiste au climat humide d'Alger du fait qu'elle respire, gonfle et rétrécit en présence de l'eau qui est en adéquation avec la terre par ses caractères physico-chimiques. Revêtir une construction en terre avec du ciment induirait à l'étouffer et à désintégrer ces matériaux”, a constaté Azizi Akram, l’architecte lauréat de la Charrette d’or au titre de l’édition 2019.

Du reste, l’accès vers le marché de légumes et fruits au lieu-dit Djamâa Lihoud (la synagogue d’Alger) s’en trouve bloqué. Alors, et pour s’y rendre à l’ancienne rue Jacques Louis César Alexandre, comte Randon, le mieux est d’emprunter la z’niqa Bessa-Lakhdar (ex-rue des Abdérames) via le musée national Ammar-Ali dit Ali La Pointe. Du reste, l’effritement de l’immeuble du 32, rue Rabah-Riah est ce drame de trop qui dévoile en tout cas le drame d’une médina qui s’émiette à foison.

C’est le cas de l’îlot de Sidi-M’hamed, où le moral des riverains est en berne, puisqu’ils anticipent d’ores et déjà sur d’éventuelles catastrophes que prédisent les façades lépreuses de leurs bâtisses. “A chaque tragédie comme celle-ci, beaucoup de temps s’écoulera pour que l’on retrouve la paix de l’esprit”, a résuméé un habitué du carrefour de l’artiste-peintre Eugène Samuel Auguste Fromentin (1820-1876,) qui se trouve en contrebat de Djamâa Safir à la rue des frères Bachara.

. Bir-Djebah, un îlot en voie de disparition

Le comble est à venir en haut des escaliers de la rue Sidi M’hamed-Chérif, où tout n’est que gravats et poussière. S’il en est une preuve, celle-ci s’esquisse sur les décombres de Dar Arbadji-Abderrahmane, l’épicerie du “chaâmbi” et Dar “l’âarab” (maison des Arabes) sise à la première impasse du palmier dite aussi “Taht Essour” (Sous le rempart) à Bir-Djebah et qui a servi de décor au film “Les enfants du soleil” (1986) de Mohamed Ifticène.

En ce lieu où tout n’est qu’enchevêtrement d’étais en bois vermoulu posés depuis 2008 et 2012, l’état de la façade latérale de dar “Mimiche le solitaire” est au bord de l’écroulement. Péril sur le passant. Pareil risque pour l’aléatoire entrelacement d’étais à la rue Anibal à Bir-Djebah et à l’impasse Abdelkader-Madjen à Bab-Edjedid. Autre tableau qui présage du pire, l’effondrement simultané de la maison du père Boudries avec l’immeuble dit “Dar” et “Qahwat” El Affroune de la famille Hahad à la rue Boudries père et fils (ex-rue de Thèbes). C’en est fini de la boulangerie de Si Ferhat et du local des scouts.

“Le sinistre date d’il y a six mois et les décombres bloquent l’accès aux douerates avoisinantes. C’est le cas de ceux qui habitent à la zaouïa du saint Sidi-Amar”, a-t-on su de deux cityens que nous avons rencontrés à la fontaine de Bir-Djebah ou le puits de l’apiculteur. C’est dire qu’ici aussi la route est bloquée vers le lieu historique de l’attentat à la bombe de l’ancienne rue de Thèbes.

Donc, et au-delà de l’obsolescence du plan de sauvegarde, l’architecte Samia Slimani préconise, quant à elle, l’urgence de sauver d’abord des vies : “L’élément humain est le plus important. Pour ce faire, il faut vider les maisons vétustes et y ordonner des travaux. Sinon, les bâtisses sont réoccupées illico-presto. Pour cela, l’adhésion citoyens/autorités est requise et nécessite des gestionnaires qui soient irréprochables. Il y a aussi la difficulté de mettre en place une intersectorialité qui n’existe toujours pas et rétablir la confiance entre les Casbadjis et les décideurs. Toutes les opérations de relogement ont été entachées d’irrégularités et les citoyens n’ont plus confiance.”

Au-delà d’un constat qui présage du pire, la vieille ville s’éloigne ainsi du plan permanent de mise en valeur des secteurs sauvegardés. “C’est un plan qui a été fait en autarcie par rapport au reste de la ville d’Alger, c’est plus un règlement sommaire et général, qui précise néanmoins les monuments prestigieux classés, avec un manuel typologique. A aucun moment on ne donne des prescriptions techniques pour les travaux de restauration. La restauration demande du temps et beaucoup de ressources financières. Le problème est que les procédures se compliquent et s’éternisent à chaque fois que l’on veut lancer des chantiers.

J’en veux pour preuve, toutes les maisons qui ont été programmées pour être restaurées mais sans suite jusqu’à aujourd’hui. Il y a lieu, pour les pouvoirs publics, de prendre les décisions qui s’imposent”, tranche l’architecte-urbaniste Akli Amrouche. En somme, La Casbah d’Alger mérite une attention particulière qu’un aléatoire plan de sauvegarde qui n’est en réalité que de la poudre de perlimpinpin jetée aux yeux de l’Unesco qui l’a classée au patrimoine mondial de l’humanité depuis février 1992.



Photo: © Louiza Ammi/ Liberté

Par LOUHAL Nourreddine


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