Nous avons une grande chance d’avoir ce jardin, mais nous ne le méritons pas, car personne n’en prend soin. » Amer et impuissant, un technicien de l’Agence nationale pour la conservation de la nature (ANN) balaie d’un revers de la main les quelque 30 ha du jardin du Hamma. Alors que la réouverture du plus grand jardin botanique d’Alger, fermé au public depuis 1997, est annoncée pour la fin du mois de novembre, le collectif qui s’est créé au sein de l’ANN se mobilise pour que le parc obtienne un statut de jardin botanique.
Pour l’instant établissement public à caractère administratif (Epa), il pourrait, selon les déclarations du wali faites en novembre dernier, devenir d’ici peu établissement public à caractère industriel et commercial (Epic). « Le décret devant trancher sur la question est attendu sous peu », précise-t-on à la daïra d’Hussein Dey. Car le jardin, qui était sous la tutelle du ministère de l’Agriculture et du Développement rural, vient de passer entre les mains de la wilaya d’Alger. Ce changement est encore officieux. Dans les faits, la wilaya se l’est approprié et a confié à l’Entreprise du développement des espaces verts (Edeval) la première phase de réhabilitation : désherbage, réfection des allées, nettoyage des parterres… Des aménagements qui provoquent l’indignation du collectif de l’ANN. « Il manque une ligne stratégique, s’insurge un ingénieur. Les ouvriers sont en train de refaire les allées alors qu’il ne fallait pas commencer par ça ! En creusant, ils abîment les racines des arbres. Quant aux engins qui font du bruit toute la journée en déversant des gravats, ils tassent le sol et perturbent la faune sauvage. Au nom de la propreté, on assiste à un désherbage sauvage qui met en péril les collections. Mais aucun responsable ne nous a demandé notre avis… » « Faux, rétorque Abderrezak Zeriat, directeur de l’Edeval. Un conseil scientifique, d’une dizaine de membres, dont l’ANN, a été mis sur pied, il y a deux mois. Sa mission : définir une ligne stratégique. Pour l’instant, nous n’en sommes qu’à la phase de nettoyage qui ne demande pas vraiment de réflexion. Le plus gros du travail nous attend après l’ouverture, quand commencera la vraie réhabilitation. Cependant, je comprends leur réaction, confie-t-il. On marche sur leurs plates-bandes. Mais ce sont eux qui nous rejettent, pas nous. Au contraire, nous aimerions travailler davantage ensemble. » Le collectif de l’ANN dénonce, par ailleurs, les risques de dérives liées à l’obligation de rentabilité inhérente au statut d’Epic. « Il y a dans ce jardin environ 4500 espèces d’arbres et de plantes exotiques qu’il faut entretenir avec soin, car elles ne sont pas dans leur milieu d’origine, note un technicien. Le jardin du Hamma est un jardin d’acclimatation, où des pizzerias et des cafés n’ont pas leur place. Commençons par le classer avant de réfléchir à ce que nous allons faire dedans. » C’est ainsi qu’une pétition pour la classification du Jardin d’essais en jardin botanique et en patrimoine naturel national a déjà réuni un millier de signatures. « Le plus important, c’est effectivement que le jardin ait un statut, admet un ancien cadre de l’Institut national pour la recherche en agronomie. Toutefois, il ne faut pas diaboliser le statut d’Epic. Le jardin de l’hôtel El Djazaïr est financé par les fonds que génère l’activité hôtelière ! Et ça ne l’empêche pas d’être un des plus beaux parcs d’Alger. L’Epic n’entraîne pas forcément une implantation sauvage de commerces. Les revenus peuvent être générés par d’autres activités. » Par exemple : les fleurs coupées, les boutures pourraient être vendues directement à des privés, ou sous forme de prestations à des hôtels, des ambassades… « L’école d’horticulture doit aussi être réintégrée et retrouver sa vocation première : former une main d’œuvre qualifiée pour ce jardin et les autres jardins de la capitale, ajoute-t-il. Elle pourrait proposer des formations payantes aux professionnels et accueillir les jeunes gratuitement dans le cadre de leurs études. Tout cela fonctionnera si l’Etat accepte de subventionner le jardin, en permettant, par exemple, d’accueillir les écoliers pour 5 DA au lieu de 100 DA. » A l’ANN, cette analyse ne fait pas l’unanimité. « Nous sommes en Algérie, souligne un membre du collectif. Il ne faut pas se leurrer, on sait très bien que ça ne se passera pas comme ça… » Chez les partisans de l’Epic, les protestations des chercheurs inspirent des remarques sarcastiques. « Ces gens-là ont la critique facile. Mais depuis toutes ces années, qu’a fait l’ANN ? » Interrogé sur la question, un ancien responsable se défend. « Nous avons élaboré des fiches techniques, mais est-ce notre faute si le ministère de l’Agriculture ne nous a pas suivis ? La gestion d’un patrimoine comme le jardin est une lourde responsabilité et elle réclame des fonds. » En clair : 100 millions de dinars par an. « Et au moins 120 ouvriers pour que le jardin puisse recevoir des visiteurs, ajoute l’ancien dirigeant de l’ANN. Car un statut de jardin botanique, s’il est incompatible avec le statut d’Epic, n’est pas inconciliable avec une ouverture au public. A condition d’aménager des plages horaires et d’interdire l’accès à certaines parcelles. » « Et pour décider de cela, l’ANN s’estime la mieux placée. « La mission de conservation de la nature fait-elle partie des prérogatives de la wilaya ? », s’interroge-t-il, dépité. Je ne pense pas… »
Posté Le : 28/08/2006
Posté par : hichem
Ecrit par : Mélanie Matarese
Source : www.elwatan.com