Alger - Mahsas Ahmed

Ahmed Mahsas. Militant de la cause nationale sociologue : De la révolution à la guerre contre la corruption



Ahmed Mahsas. Militant de la cause nationale sociologue : De la révolution à la guerre contre la corruption
« On voit que l’histoire est une galerie de tableaux où il y a peu d’originaux et beaucoup de copies. »

Alexis de Tocqueville

Son nom a récemment figuré parmi une liste de personnalités partant en guerre contre la corruption. Le retentissant procès de Khalifa n’est sans doute pas étranger à cette sortie. Lorsqu’on lui demande si ce n’est pas un retour déguisé vers la politique, il se fend d’un large sourire narquois en expliquant qu’il n’avait pas besoin de cela pour ce faire.

« C’est un acte citoyen tout simplement. » Puis de renchérir : « Vous savez, on a réagi parce que ce fléau qui suscite des inquiétudes et des tourments gangrène la société. Il est même mortel, car si on laisse faire, on risque de perdre toutes les valeurs qui font le fondement de notre société. Et puis, c’est une prise de conscience, car le pays est celui de tous ceux qui y vivent et pas seulement l’apanage de l’Etat. » Avec ses airs d’enfant triste égaré, Ahmed Mahsas, du haut de ses 84 ans, parle doucement, mais avec une précision maladive. Si le geste est parfois hésitant, la mémoire est intacte. Sa vie est un long cours pas du tout tranquille. Né en 1923 à Boudouaou, dans une famille de cultivateurs traditionalistes, il est issu du arch des Ouled Ali Ben Abdelkader, dont les racines remontent à la même tribu, originaire de la région de Sidi Aïssa. Ses grands-parents, qui avaient participé à l’insurrection d’El Mokrani en 1871, se sont retrouvés défaits à Oued Boudouaou où ils s’établirent, sans toutefois jouir des terres qu’ils travaillaient. Son père Boualem initia ses enfants au rugueux travail de la terre, en tournant le dos à l’instruction pour laquelle il ne voyait pas un quelconque intérêt. L’école indigène lui faisait peur et il a fallu toute l’obstination d’un instituteur, M. Kesri de Azazga, pour envoyer ses enfants sur les bancs de l’école. « Profondément conservateurs, nos parents ont contre-attaqué en nous confiant, en parallèle, à M. Brahim qui officiait à l’école coranique. » Comme la bâtisse de l’école indigène s’est un jour effondrée, Ahmed fut orienté vers l’école française qu’il ne quittera pas en raison des bons résultats enregistrés, dont le certificat d’études qu’il obtint avec brio en 1937. « J’étais l’exemple mais on ne m’a pas octroyé la totalité de la bourse, ce qui fait que je n’ai pu poursuivre mes études. »

Militant précoce
La politique le récupéra très vite pour plusieurs raisons. La région étant très politisée, l’adjoint au maire d’Alma était MTLD. Et puis, ses deux oncles, des jumeaux, Moussa et Brahim, eurent sur Ahmed une influence non négligeable. L’un était au PPA et l’autre chez les ouléma. « Le virus de la politique est venu d’eux. C’est ainsi qu’à la fin des années 1930, j’ai créé la première cellule du PPA clandestin dans ce village colonial, où on était connus comme des loups blancs. La répression n’a pas tardé à s’abattre sur nous. J’ai dû quitter le village dans des conditions particulières, en venant à Cervantès à Belcourt, chez un parent, Omar Bensaïdène. Là, j’ai rencontré des jeunes comme moi et on a créé le comité de la jeunesse militante en prenant attache avec le parti. Belouizdad, Hamouda, Tazirt, Yousfi. Pour le Grand Alger, on a créé une organisation jeune avec son comité central, Sid Ali Abdelhamid, Taleb Abderahmane, Chergui Brahim et Amrani. A l’insu du parti, on a dérobé des armes des camps anglo-américains qu’on cachait chez Saradouni et Belarbi, des communistes qui nous avaient grandement aidés. » Arrêté en 1940, puis peu avant la tuerie de 1945 pour ses activités militantes, Ahmed sera libéré en 1946. Sur les conseils de Bouda et Lakhdar Rebah, il se rebellera contre la conscription dans l’armée française qui l’avait convoqué. Il est envoyé, par le parti, à Sétif pour réorganiser les cellules alors que son ami Belouizdad était déjà dans le Constantinois. C’est là qu’il connut Boudiaf, Boumaza… Après la maladie de Belouizdad, Ahmed a été nommé responsable du parti pour tout l’Est du pays. Il prend une part active au congrès clandestin du PPA en 1947 qui devait préparer l’insurrection et créer une structure paramilitaire (OS). « Abane, qui exerçait à la mairie de Chelghoum Laïd, avait l’étoffe d’un cadre et était apprécié par la population. Il avait le profil idéal pour faire partie de l’encadrement. Je l’ai introduit au sein de la structure du parti. J’ai appelé Lahouel, secrétaire du parti, qui l’a tout de suite mis à la tête de la structure. »

Insurrection contre le parti
Rentré à Alger, Ahmed tombe sur une véritable rébellion des jeunes, dont Didouche contre le parti qui décide de participer pour la dernière fois aux élections de l’Assemblée algérienne. « Finalement, nous n’avions pas eu tort, car les promesses n’étaient pas tenues. Pis, des centaines de militants avaient été arrêtés, alors que des candidats étaient jetés en prison. On avait décidé, Ben Bella, Belhadj, Maroc, Aït Ahmed et moi qu’il n’était plus question de se limiter à l’action politique. Il fallait passer à l’action. J’étais désigné à la tête de l’Algérois. L’objectif était d’organiser l’OS dans les meilleures conditions possibles. » Ahmed a été obligé de quitter l’OS et de revenir au politique. Arrêté pour insoumission, il écopera de 6 mois de prison. Après sa sortie, il est envoyé au 12e bataillon à El Asnam. Même à la caserne, il ne sera pas tranquille puisqu’il est arrêté de nouveau et il croupira dans les geôles de Blida de 1950 à 1952. Ahmed fera noter qu’il y a eu des accrochages à propos de la dissolution de l’OS « qu’on refusait car c’était le symbole de l’action révolutionnaire ». Maintenu en prison, il finira, avec Benbella et les autres, à organiser leur propre évasion contre l’avis du parti. « On était en désaccord total avec la direction du parti qui voulait nous envoyer au Caire. Au fond de nous-mêmes, nous pensions que le parti nous avait abandonnés, voire même sacrifiés. C’est cette fragilité qui a alimenté les difficultés entre messalistes et centralistes qui ne croyaient plus à la révolution, influencés qu’ils étaient par la politique de M. Chevalier. On a tenté d’éviter la dissension en optant pour une troisième tendance. » Ahmed fut envoyé en France, Ben Bella au Caire. Des discussions ont eu lieu avec Boudiaf pour lancer un mouvement qui ne pouvait être que révolutionnaire. Pour éviter les luttes intestines, il fallait rester unis. C’est, en substance, les termes de la déclaration signée par Belkacem Radjef, exaspéré lui aussi par le zaïmisme incarné par Messali. Le terrain était déjà préparé pour le CRUA. Le congrès de la Soummam, considéré comme un virage décisif dans le cours de la révolution, n’a toujours pas été digéré par notre interloctueur. « C’est un congrès qui n’était pas représentatif. Il n’y avait ni les Aurès, ni la Wilaya V, ni la Fédération de France, ni la délégation extérieure, ni Boussouf. Les gens au lieu d’économiser les vies humaines, de conserver l’outil de lutte, ont fait tout le contraire. Le groupe a mis tout le monde devant le fait accompli. On a opposé le politique au militaire, l’extérieur à l’intérieur. Or il ne fallait pas créer ce dualisme mortel dans la révolution qui est un tout. Notre attitude était pour un congrès authentique. Au Conseil de la révolution du Caire en 1957, ceux qui sont partis sont revenus avec des décisions très dangereuses. Ils ont mis Abane en minorité avant de l’assassiner. » A l’indépendance, nommé ministre de l’Agriculture par Ben Bella, il finira par claquer la porte en raison d’un « différend sur la méthode ». Il s’explique : « La personnalisation à outrance du système l’a amené vers une fin inéluctable et pitoyable. La concentration des pouvoirs n’est pas indéfiniment bonne. Elle devient nocive au fil du temps. Et puis, depuis quand parle-t-on du père de la révolution lorsque celle-ci a été menée collectivement ? »

Les griefs lancés contre Ben Bella étaient les nôtres
Lorsqu’il prit le pouvoir, en déposant Ben Bella, Boumediène fit appel à Mahsas, qui se défend d’avoir participé au coup d’Etat. « Les griefs lancés contre Ben Bella étaient les nôtres, c’est pour cela qu’on a marché », résume-t-il. Et d’ajouter : « Rassurez-vous, je n’y suis pas resté longtemps. Ils ont fait des promesses non tenues. Je n’avais aucune raison de rester dans un système plus fermé encore que le précédent. J’en suis sorti. » Ce départ lui vaudra d’être taxé de traître et d’ennemi de la révolution, termes en vogue à l’époque. On est allé même jusqu’à l’accuser d’avoir tapé dans la caisse. « Ce sont des mensonges au moment où la rumeur enflait à propos de tout, on a essayé de salir Ben Bella en m’utilisant. Ils m’ont saboté dans la gestion du secteur. Il n’y avait plus moyen de coopérer. Je ne pouvais m’accommoder d’une dictature comme celle qui a sévi de longues années durant. Alors, on a suscité des campagnes dans la presse contre moi. Ce sont des méthodes qui ont ruiné la crédibilité des cadres. En exil, à Paris, j’ai rencontré des opposants. J’avais de quoi subsister pour à peine deux mois. On a créé le Rassemblement unitaire des révolutionnaires (RUR). J’étais de tendance arabo-musulmane, mais les communistes militaient aussi au sein de ce rassemblement qui, après son implosion, se transforma en Rassemblement démocratique révolutionnaire avec Zbiri, Kaïd Ahmed. » En 1981, Mahsas retourne au pays non sans avoir effectué des études en sociologie à la Sorbonne. Il exercera quelque temps à l’ENAL. En 1989, il créera l’Union des forces démocratiques (UFD) qu’il définit comme « un FLN plus évolué, plus adapté aux nouvelles situations avec la fabrication d’idées ». L’UFD se targue d’être le premier à avoir tenté de rapprocher les partis, « mais le pouvoir a tout fait pour disperser les forces ». Récemment, Mahsas a rencontré Kebir. Les observateurs y ont vu une tentative de relance de son parti ; ce qu’il dément avec force. J’ai toujours été en contact avec les islamistes. « Je suis l’un des rares à ne pas avoir fondamentalement condamné le FIS. J’ai déjà déclaré que l’Islam ne peut être l’objet d’une quelconque surenchère. Il ne peut être représenté par une organisation politique. J’ai fait le reproche aux dirigeants du FIS de ne pas avoir fait assez d’efforts pour réétudier les concepts. » Quant à la crise qui secoue le pays, il persiste à dire que c’est celle du système qui n’a pas fait les changements nécessaires attendus par un pays compressé.

PARCOURS

Ahmed Mahsas, alias Ali Mahsas, est né en 1923 à Boudouaou (wilaya de Boumerdès). Issu d’une famille rurale et militant précoce, il faisait montre d’un patriotisme ardent dès l’âge de 16 ans lorsqu’il a adhéré au PPA à Belcourt (1940). Il fut à l’origine de la création du premier noyau du FLN en France avant de devenir le délégué politico-militaire de l’Est algérien et membre du Conseil national de la révolution algérienne. Après l’indépendance, il est nommé ministre de l’Agriculture et de la Réforme agraire (1963). Egalement membre du bureau politique et du secrétaire du FLN. Après le 19 juin 1965, il est membre du Conseil de la révolution. Après s’être rendu compte de l’autocratisme du nouveau pouvoir, il s’exile en France dès 1966. Il rentre à Alger en 1981.



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