Ain Témouchent - Tariqa Aissaouia

La zâwiya de Oulhaça : Émergence d'une zâwiya oubliée



La zâwiya de Oulhaça, qui fédère la grande majorité des branches de la confrérie de l'Ouest algérien, est fondée en 1770 par Muhammad B Ali un affilié du Rif (Maroc), venu s'installer avec sa famille parmi la tribu des Oulhaça Ghraba dans les monts Trara. Le chef de cette ZawiyaAbd el Karîm al-'Abidîn est l'un des descendants de cet ancêtre si `îsâwâ de la région.
Il existe peu de traces de cette zâwiya dans l'abondante littérature ethnographique coloniale, pourtant prolixe en matière de description des rituels de la confrérie. En revanche, les archives coloniales font état des activités qui s'y déploient, notamment en matière de recrutement des nouveaux affiliés dans les centres urbains. On y découvre également des relations suivies entre les zâwiya-s de Oulhaça et de Meknès. Les administrateurs signalent les visites annuelles du muqaddim de la Zawiya de Meknès auprès des `îsâwâ algériens. Mais Oulhaça demeure longtemps une zâwiya sans envergure nationale. Cette place est occupée par la zâwiya d'Ouzera, située à Médéa près d'Alger et fondée par le petit-fils du shaykh Ibn `îsâ, réfugié en Algérie en l'an 975 de l’hégire pour échapper à la tyrannie du sultan marocain de l'époque. Délaissée à l'Indépendance par les descendants du fondateur, cette Zawiya cessera toute activité confrérique2. Le chef de la zâwiya de Oulhaça I. comme une branche secondaire de la confrérie, une «branche matrilinéaire”. Il ne cache pas sa fierté d'être le seul représentant de la confrérie à l'échelle nationale, qui attire de plus en plus les `îsâwâ du centre et de l'Est de l'Algérie.
La Zawiya de Oulhaça est l'une des rares zâwiya-s à avoir résisté à l’épreuve du temps. Tout d'abord, elle échappe à tous les plans de réaménagement de l'espace, depuis le sénatus-consulte des tribus d'Algérie mis en pratique par l'administration coloniale (1863)3 jusqu'à la réforme agraire initiée par Boumediene, où elle acquiert le statut de bien privé des descendants du fondateur. Ceux-ci continuent d'y résider depuis plusieurs générations et font fructifier le domaine agricole. Deux qubba-s confèrent son caractère sacré au territoire. Le style d'architecture ottoman laisse penser que la zâwiya avait fait allégeance à l'administration ottomane. En effet pour récompenser ses sujets, celle-ci avait coutume d'embellir les sanctuaires de leurs ancêtres, de construction souvent modeste. La qubba la plus ancienne abrite les tombes de Sîdî Muhammad b. `Alî et de son fils ainé et successeur, Sîdî Muhammad. La deuxième est dédiée à Sîdî al-Hadjadj Muhammad Gâzûlî, descendant de Sîdî Muhammad Belhadjdj Miloud, cousin et successeur de Sîdî Muhammad et chef de la branche cadette de la confrérie. Sîdî al-Hâdjdj Muhammad Gâzûlî est le grand-père
Du dénommé »Labiddine Si Kezzouli » (il s'agit du même patronyme), présenté comme «moqaddem de la Zawiya» dans un portrait dressé de lui en 1910 par un fonctionnaire de l'administration coloniale4. Le shaykh Abd el Karîm al-`Abidîn est l'un des petit-fils de ce dernier (le prénom du grand-père s'est transformé au cours du temps en patronyme de la famille Il est intéressant de noter qu'il n'est pas en mesure de reconstituer lui-même sa généalogie; il manifeste beaucoup d'intérêt pour mes propres informations recueillies dans les sources de l'administration coloniale Ayant succédé à l'un de ses frères mort lors de la guerre de libération. il apparaît sous les traits d'un paysan affable. Arabophone exclusivement., possédant des rudiments de lecture et d'écriture acquis à l’ecole coranique de la zâwiya, il se consacre en même temps que les autres hommes de sa famille aux travaux des champs. Il n'assure sa fonction de chef de confrérie que ponctuellement.
Au début des années quatre-vingt, la zâwiya comporte, outre les Qubbas une mosquée, où l'imam d'un village voisin dirige la prière
communautaire du vendredi et un cimetière, où reposent les membres de la famille Composée de quatre unités familiales, celle du shaykh et celles de ses trois frères, la population de la zâwiya se répartit dans quatre maisons individuelles construites sur le même modèle: des pièces contigues autour d'une cour centrale et qui se sont multipliées au gré de l’agrandissement de la famille, par les mariages des garçons notamment.la plupart de ces derniers continuent de résider sur les lieux. Ceux d'entre eux qui travaillent loin de la zâwiya y conservent leur chambre, qu'ils occupent lors de leurs fréquents séjours. Un immeuble de deux étages s'est ajouté à cet ensemble résidentiel, pour héberger le second ménage du shaykh. Cette famille élargie est loin de vivre dans l'opulence et dans le confort. Si l'électricité y est déjà installée, l'eau, qui fait toujours défaut, est journellement amenée dans des citernes depuis les villages voisins. Basée sur un système autarcique, l'économie de la zâwiya est enrichie par les dons des affiliés. Comme tout lieu de pèlerinage, la zâwiya est isolée du reste du village. Une école élémentaire et quelques habitations récentes sont les seules constructions rencontrées sur le chemin de terre y conduisant.
Par sa stabilité depuis deux siècles, ce lieu saint constitue le lieu de mémoire des `îsâwâ de la région. Son extension ainsi que l'augmentation du nombre de détenteurs de la baraka de Sîdî Muhammad b. `îsâ, en la personne des descendants des fondateurs de la zâwiya, attestent de la persistance de l'efficacité symbolique de la confrérie. Il va sans dire que le shaykh est le principal bénéficiaire de cette situation, qui contribue à accroître son prestige.
Toutefois, la zâwiya de Oulhaça aurait sans doute perdu son statut de lieu de mémoire, si des centaines d'affiliés, d'adeptes ou de sympathisants du shaykh Ibn `îsâ et de ses représentants locaux, avaient cessé de se souvenir de ces ancêtres spirituels et de leur rendre hommage par leurs visites. Son existence est donc tributaire de l'activité des membres des différents groupes qui s'y rattachent.
Le travail principal du shaykh en tant que chef de confrérie consiste à recevoir les visiteurs, qui viennent rendre hommage au shaykh Ibn `îsâ à travers les fondateurs de la zâwiya et sollicitent une aide d'ordre matériel ou spirituel. Travail d'écoute et, le cas échéant, proposition de solutions aux problèmes posés : des amulettes, des remèdes à base de matières végétales, voire une intervention auprès d'une administration. Dans tous les cas, les visiteurs recherchent réconfort et soutien moral auprès de ce père spirituel. Ceux qui souhaitent y séjourner quelque temps sont hébergés dans une aile de la nouvelle résidence du shaykh. Celui-ci se fait un devoir de les accueillir et de les nourrir. Toute forme d'aide est symbolisée par le concept de baraka. Les dons effectués par les visiteurs en échange de la baraka reçue sont nommés ziyâra-s, se confondant ainsi avec la démarche de visite elle-même. Les visites sont plus ou moins nombreuses selon les saisons et culminent au moment du pèlerinage annuel de la confrérie. à son tour, le shaykh rend visite aux membres de la confrérie pour assister à des cérémonies, pour régler des conflits entre affiliés ou groupes d'affiliés, ou simplement pour garder le contact avec ceux qu'il appelle ses enfants. C'est au cours d'une de ses visites à la firga féminine d'Aix-en-Provence que je l'ai rencontré la première fois.
Considérée comme la maison des `îsâwâ, dont certains contribuent aux travaux de réfection, d'extension ou d'embellissement, la zâwiya n'en demeure pas moins la propriété exclusive des descendants du fondateur, plus précisément celle du shaykh. En effet, ce dernier se comporte de plus en plus comme l'héritier attitré des lieux, en multi¬pliant les logements destinés à l'usage de ses propres enfants, ce qui n'est pas sans engendrer des conflits avec les membres des familles de ses frères.




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