Ain Témouchent - Autres Littéraires

Faïza Guène, La jeune beurette s’affirme comme romancière de talent , La « Sagan des banlieues » ?



Faïza Guène, La jeune beurette s’affirme comme romancière de talent , La « Sagan des banlieues » ?
Nous l’avons rencontrée, en ce mois de décembre, quelques jours avant qu’elle parte en vacances à Aïn Témouchent, ville natale de ses parents. Faïza Guène, jeune romancière de 21 ans, n’avait pas beaucoup changé depuis notre première rencontre à la sortie de son premier roman Kiffe kiffe demain, en 2004.

La jeune romancière a gardé toute la fraîcheur et la spontanéité de son adolescence. Quand elle parle, un large sourire illumine ses yeux et creuse ses fossettes. Faïza Guène est née en 1985 à Bobigny, en Seine-Saint-Denis, de parents algériens. Elle vit dans la cité des Courtillières, à Pantin (région parisienne) depuis l’âge de 8 ans. Son père, ancien mineur, puis maçon, aujourd’hui retraité, est arrivé en France en 1952. Sa mère est, quant à elle, en France depuis 1981. Le premier roman de Faïza Guène, Kiffe kiffe demain, a été conçu dans le cadre des ateliers d’écriture de l’association Les Engraineurs qui travaille avec le collège et les jeunes du quartier des Courtillières à Pantin. Le texte, confié par le président de l’association, Boris Seguin, à une éditrice de Hachette littératures, est publié en 2004. Kiffe kiffe demain a été vendu à 350 000 exemplaires et traduit dans 22 langues. Au départ, 1300 exemplaires seulement ont été mis en place. Personne n’avait misé sur le livre ni s’attendait au succès qu’il allait rencontrer, ni l’auteur ni l’éditeur. Deux ans après, Faïza Guène publie chez le même éditeur, Du rêve pour oufs. Kiffe kiffe demain s’attachait au quotidien de Doria, une adolescente de 15 ans, à Pantin dans la banlieue parisienne. Du rêve pour les oufs conte l’histoire d’Ahlème, 24 ans, née en Algérie et vivant à Ivry-sur-Seine avec un père invalide à la suite d’un accident de chantier, et un petit frère en prise avec des démêlés judiciaires. « Je me suis vraiment mise dans la peau du personnage de Doria. Doria avait 15 ans », « Doria était un personnage positif, à 15 ans, on a plus d’optimisme qu’à 25. Dans le second romain, je voulais un personnage plus inscrit dans la vie sociale, qui travaille. » Dans ses deux romans, les personnages centraux sont des femmes qui affrontent la dureté du quotidien. « J’ai une image, depuis l’enfance, de la femme qui est forte, qui assume tout, je crois que le fait d’être d’origine algérienne y est pour beaucoup, j’ai toujours eu l’image de femmes combatives. Après, en grandissant et en faisant ma propre expérience, je me suis aperçue qu’on est beaucoup plus tenaces, le fait peut-être qu’on n’a pas envie d’offrir à nos enfants un monde moche. »

Juste envie d’écrire

La réussite ? Pour Faïza, réussir, ce n’est pas vendre des livres : « C’est que dans dix ans ou quinze ans je me retourne en me disant que je suis contente de ce que j’ai fait, que je suis restée intègre, que j’ai suivi mes principes, que je ne me suis pas vendue pour le succès ou pour l’argent, que je suis restée fidèle à moi-même en fait, à ce qu’on m’a appris. Je ne veux pas devenir opportuniste, accepter tout ce qu’on me propose au prix de je ne sais quoi, renier d’où je viens, mes principes. » Un journaliste l’a qualifiée de « Sagan des banlieues ». Non, elle n’a pas cette « prétention ». Non, elle n’a pas l’ambition de devenir « un personnage dans la littérature française », « l’écriture, c’est un domaine tellement élitiste ». Elle a juste envie d’écrire. « C’est super que les gens partagent mon plaisir », dit-elle modestement. Et elle espère que cela donnera envie à d’autres jeunes d’écrire, cela, oui. Elle veut laisser des traces. « Une des choses qui me rend le plus fière, c’est de laisser le nom de mon père sur mon livre. En même temps, c’est quelque chose de douloureux, pas uniquement pour mon père, mais pour tous les pères – pour les premières générations qui sont arrivées en France. Quand, eux, ils vont partir, la mémoire va un peu disparaître. Je voudrais qu’ils se disent que tous leurs efforts, leurs sacrifices ne sont pas vains. » Elle a le sentiment d’avoir « franchi un mur », le « périph » comme dirait le sociologue Azouz Begag, actuel ministre de l’Egalité des chances. En même temps, elle a « toujours un pied de l’autre côté, je n’ai pas envie d’appartenir à ce monde de la littérature. Le côté glamour ne m’attire pas du tout. J’ai envie d’écrire parce que j’aime écrire, j’ai envie de transmettre à des gens et je me suis aperçue que j’ai touché des gens qui ne lisaient pas, et maintenant, je puise ma force dedans. C’est ce qui m’encourage encore plus à continuer, parce qu’ il y a des gens auxquels on ne s’adresse pas, je touche un public qui est concerné par ce que j’écris, je suis proche d’eux ».

« Laisser le nom de mon père sur mon livre »

Ce qui manque dans la vision des quartiers, selon Faïza, c’est la nuance. « Ou on va montrer du doigt des ‘’voyous’’ ou on va mettre en exergue les ‘’prodiges’’ et ceux qui ont fait ‘’quelque chose de magnifique’’, moi je n’ai pas envie d’être dans cette extrémité-là. Parce qu’au milieu, il y a des gens qui vont travailler le matin et qui rentrent le soir. C’est de cette majorité silencieuse que je me sens proche. Il y a plein de gens qui ont des choses à dire, à défendre, des gens qui ont des talents, d’autres qui n’en ont pas. Même si on ne fait rien ce n’est pas pour autant que l’on est personne. » Se sent-elle porte-drapeau des jeunes des banlieues ? Porteuse d’un message ? D’une responsabilité ? « Je rejetais beaucoup cela au début, parce que je me disais : ‘’Quelle prétention ! Je me nourris de mon milieu pour raconter mes histoires, donc c’est logique que je le défende, mais fièrement’’. Et forcément, des gens se sont identifiés à ce que je disais, encore plus fort que ce que je croyais. Alors que j’avais l’impression de dire des choses tout à fait ordinaires, elles étaient entendues comme originales et on disait que je racontais des choses nouvelles. Je ne raconte rien de nouveau. Dans mes livres, il n’y a rien de nouveau, c’est juste le regard que je pose qui est différent. Je me suis rendue compte que cette parole était rare finalement. En tout cas, on ne nous offrait pas la parole assez souvent. » « Quand je vais sur un plateau de télévision, je vais avec tous les Algériens de France, avec les Arabes, les Noirs, les banlieues, il y a tout cela derrière moi. C’est cela la responsabilité. » C’est lourd ? « Parfois, oui, parce que j’ai peur de décevoir. J’essaie d’être juste, on a toujours peur de se tromper, d’être à côté. » Mon engagement est dans le fait d’avoir ouvert une petite porte, peut-être que derrière moi, d’autres vont en ouvrir encore, qu’on peut toucher des choses qui ne sont pas forcément pour nous. La société nous met dans des cases. Non, le « quand on veut on peut » n’existe pas. Dans le concret, ce n’est pas si simple.

ça c’est de l’amour

Elle cite une auteur sénégalaise, Fatou Diop, qui a écrit qu’ « un citoyen humilié fait un mauvais patriote ». « On ne peut pas demander aux Français issus de l’immigration de s’intégrer, ils sont nés en France. Ils n’ont plus à être intégrés. C’est leur mère qu’il aurait fallu intégrer après le regroupement familial. C’est là que l’erreur a été faite », estime Faïza. Et elle ajoute : « Le rôle des femmes, dans mon parcours et dans mon travail, est important parce que c’est par elles que tout passe. Quand les femmes sont arrivées, elles ne travaillaient pas, donc elles n’étaient pas intégrées socialement. Elles n’ont pas connu la mixité, elles ont connu des femmes comme elles, elles ont parlé dans leur propre langue. Il y a des femmes qui, 35 ans après, ne disent que bonjour, merci, une baguette s’il vous plaît. Mais je trouve qu’elles sont vraiment fortes, d’avoir réussi à faire tenir cette génération debout. » Dans les émeutes des banlieues, ce qu’elle a le plus mal vécu, ce sont les « manipulations » et les « provocations ». « Tout le monde est surpris, les politiques, les médias, mais surpris de quoi ? Pour nous, ce n’est pas une surprise, ce n’est que la continuité et l’aboutissement logique d’une situation de crise sociale. On veut maquiller ce problème social de fond. Le problème de fond est social. J’ai l’impression qu’on est des marionnettes de la société française. Des politiques se flattent de vouloir résoudre une situation qu’eux-mêmes ils ont créée. » Elle appelle les jeunes à voter, « ce n’est pas anodin qu’on soit mis à l’écart, on n’a pas de poids politique. J’espère que les jeunes vont se réveiller cette fois-ci ». « Dans ma courte vie, j’ai compris qu’au-delà du fait que les parents éduquent leurs enfants, il y a un moment où cela s’inverse, où nous aussi nous apprenons à éduquer nos parents. On apprend à dire je t’aime à nos mères parce que personne ne le leur a appris, et qu’il y a une pudeur qui fait qu’on ne dit pas les sentiments. Maintenant, c’est ma mère qui me le dit d’elle-même. C’est important de mettre des mots. Il y a une façon d’aimer. La façon de nous aimer de mon père, c’est d’amener le cabas du marché, qu’on mange bien. Ma mère, c’est pareil ; que la famille ne manque de rien, qu’on soit bien habillés. On comprend plus tard que ça c’est de l’amour. » Faïza Guène parle beaucoup de ses origines algériennes. « D’abord parce que je connais l’Algérie, ces différents enfants qui sont nés sur le sol français et qui ne connaissent pas l’Algérie, qui ne comprennent pas l’arabe ou le berbère, et qui se disent Algériens. C’est une appartenance un peu malsaine parce que n’ayant pas trouvé une appartenance autre, ils s’accrochent à celle-là qui, au fond, est un peu factice. Toute ma famille est en Algérie, excepté mes parents, mon frère et ma sœur. Je suis franco-algérienne en fait, je ne suis donc pas que française. Il y a aussi une vraie fierté qu’on nous transmet, mon grand-père était héros de guerre. » Les non-dits, les occultations sur l’histoire franco-algérienne et le manque de reconnaissance, font que l’ on s’agrippe à l’histoire qu’on connaît. « Je suis sûre que c’est cela aussi qui fait qu’il y ait un problème dans les banlieues. Toute une partie du problème est liée au fait qu’on ne connaît pas notre histoire. Comment voulez-vous qu’on avance ? On n’est pas reconnus en tant qu’individus, en tant que Français dans notre entièreté. » En 2002, Faïza Guène réalise un court métrage sur le 17 octobre 1961, qu’elle découvre par hasard. « 300 morts à Paris, on n’a jamais vu cela depuis la Commune de Paris ! ». Son père était dans la manifestation, mais il n’en avait jamais parlé comme la plupart des manifestants. « De me dire que 1961 ce n’est pas loin, que mon père qui est là, face à moi, qui a vécu cela, ne m’en ait jamais parlé, j’ai senti une colère, d’abord contre mon père, ensuite contre les dirigeants politiques, la société. » Depuis, elle va tous les ans à la commémoration au Pont Saint-Michel avec 17 roses, c’est, à son sens, important, parce que, dit-elle : « C’est nous qui faisons la passerelle. Nos pères vont disparaître, c’est une partie de notre mémoire que je n’ai pas envie qu’on perde. » Comment ses parents, sa famille perçoivent son talent d’écrivain avec fierté. « L’écriture est un domaine qui est sain. Dans la religion, l’écriture c’est quelque chose de propre, de noble. C’est vrai qu’ils sont fiers de moi non pas parce que j’ai écrit un livre et que je suis devenue connue, mais fiers de moi parce que j’ai accompli quelque chose. Ils sont fiers de ma sœur ou de mon frère de la même façon. J’ai perdu mon grand père maternel cet été, c’était le personnage de la famille qui était le plus proche de moi. Bien que malade, il avait suivi ce que je faisais, il parlait tout le temps de moi à ma mère, c’est comme s’il avait envoyé sa fille en France sans savoir ce qu’elle allait devenir, et que quelque chose a été réussie. La fierté du nom de la famille. » Dans les projets importants, le voyage qu’elle effectue ce mois de décembre en Algérie, plus précisément à Aïn Témouchent, pour se ressourcer. L’envie de réaliser un documentaire, des portraits de femmes en Algérie, la taraude depuis un moment déjà. A Aïn Témouchent.

Bio-express

1985 : naissance à Bobigny Très tôt, Faïza participe aux ateliers d’écriture et de réalisation audiovisuelle de l’association Les Engraineurs, basée à Pantin au quartier des Courtillières.
1999 : premier court-métrage La Zonzonnière.
2002 : deux courts-métrages RTT et Rumeurs et un documentaire Mémoires du 17 octobre 61.
2004 : premier roman Kiffe kiffe demain, Hachette littératures et un troisième court-métrage Rien que des mots.
2006 : second roman Du rêve pour les oufs, Hachette littératures Diplômée de l’IUT de Bobigny, à l’Université Paris XIII, section Carrières sociales et socioculturelles. Etudiante en sociologie à l’Université Paris VIII, à St-Denis, puis abandonne pour se consacrer à l’écriture et à la réalisation de films.






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