On repart au matin. Les Milianais vont au-devant du rkab jusqu'à un petit bois qui domine la route de Levacher, à quelque deux kilomètres des remparts. Des joueurs de flûtes, de ghaïta et de guellal distraient, en attendant, la foule en costume de fête. Des Ammaria, accompagnés de tambourins (bendaïr) et de flûtes de roseau, exécutent l'ijdeb, danse extatique, avec le grand tremblement caractéristique de leur confrérie. Vers une ou deux heures de l'après-midi, on aperçoit le cortège avec ses beaux cavaliers et ses drapeaux de soie rose et bleue, précédé par l'auto du caïd...
Au cœur du Zaccar, à 720 mètres d'altitude, la ville de Miliana domine fièrement la vallée du Chélif, que ferment au sud les chaînes de l'Atlas tellien et de l'Ouarsenis. Le patron de cette ville est l'illustre Sidi Ahmed ben Youssef, qui attire toujours de nombreux pèlerins, isolés ou en groupes, non seulement des départements d'Alger et d'Oran, mais du fond du Sahara et de quelques tribus du Maroc.
Le sanctuaire est l'un des plus importants de l'Algérie. A côté d'une mosquée au beau minaret carré, il s'élève sur un terre-plein ombragé auquel conduisent à gauche un escalier, à droite une rampe que peuvent gravir les chevaux et les mulets. Un couloir mène à une vaste cour carrée où chante un jet d'eau dans une vasque célébrée par les poètes et où pousse un noyer aux fruits pleins de baraka. Trois côtés de cette cour sont limités par un double étage de galeries sur lesquelles s'ouvrent des chambres pour pèlerins à l'étage supérieur. Sur le quatrième côté, face au couloir d'entrée, s élève la qoubba proprement dite abritant la salle funéraire, le darih. C'est une vaste salle couverte d'une coupole octogonale, blanche à l'extérieur, peinte intérieurement en tranches rouge sombre, jaune et vert. Elle est richement ornée de carreaux de faïence, de tableaux représentant la Mecque et Médine, de calligraphies, de drapeaux, d'horloges, d'oeufs d'autruche en pendentifs. Un catafalque, tabout, couvert de soieries multicolores est protégé par une double grille de fer et de bois.
Une inscription près de la porte date la reconstruction de la qoubba de 1143 de l'Hégire, 1731 de l'ère chrétienne.
Les jours de fête, cette salle est pleine d'une foule à la ferveur impressionnante. A droite, des hezzabin psalmodient sans relâche ; l'oukil et les descendants du saint reçoivent les offrandes sur une étoffe de soie bleue et blanche étendue devant eux, distribuent des cierges et des fleurs. Les pèlerins déchaussés vont au catafalque, touchent les soieries, les baisent, les pressent sur leur cceur, soulèvent la tenture pour voir la tombe, murmurent des invocations et des prières.
Derrière la salle funéraire, quelques marches à partir de la galerie de la cour centrale conduisent à une longue salle basse aux murs barbouillés de henné. C'est là qu'est enterrée Lalla Bghoura, la vieille servante noire du saint. A droite, tin couloir conduit à la tombe de la mule qui transporta le cadavre de Sidi Ahmed et, ne s'arrêta qu'en ce lieu prédestiné.
La vie mouvementée du saint:
Sidi Ahmed ben Youssef er-Rachidi naquit, selon la plupart des sources écrites, à la Kalaâ des Béni-Rachid, près de Mascara, dans le second tiers du XVè siècle. Son père s'appelait Mohammed. Youssef serait le nom de son bisaïeul. Selon certains, il serait né au Gourara où s'élève la qoubba de Sidi Mançour qui serait son père. Venu à la Qalaâ, il aurait été adopté et élevé par un Youssef er-Rachidi. J'ai recueilli chez les Athaouna de la Saoura une version selon laquelle il serait le fils de Sidi Mançour Bou Kerkour enterré à Tabelkoza, Gourara. Comme Sidi Mançour était très vieux, l'on plaisanta. Il procéda alors à une sorte d'ordalie, de jugement de Dieu, et jeta l'enfant dans un brasier ; les langes brûlèrent, l'enfant resta intact ; le père le lança dans l'espace et le bébé tomba dans un pays où il fut allaité par une vache ; adopté par le maître de celle-ci nommé Youssef, il alla par la suite étudier à Bougie. Au Mzab, par contre, on m'a assuré que Sidi Ahmed était frère utérin de Sidi Bougdemma dont la qoubba domine un des plus grands cimetières de Ghardaïa. Oua Allahou a'lem. Dieu est le plus savant. Il parlait, non seulement l'arabe, mais le zénète et il est vraisemblable qu'il sortait d'une famille zénète originaire sans doute du Maroc.
La vie de ce personnage, parfaitement historique pourtant, n'est guère moins mystérieuse que sa naissance. Il semble l'avoir passée surtout en voyages dans le Maghreb moyen et le Sud oranais. On connaît ses démêlés avec les derniers souverains abdelaouadites de Tlemcen et sa bienveillance pour les Turcs qui prenaient pied en Afrique du Nord.
On sait qu'il commerça sa vie intellectuelle en étudiant à Bougie avec le cheikh marocain, Ahmed Zerrouq et Parnousi (mort à Tripoli en 1.494), qui l'affilia à la confrérie chadiliya, laquelle dérivait de Sidi Abou Madian par Moulay Abdesselam et par Aboulhassan Chadili. Cette voie mystique, dont l'historien Asin Palacios a montré l'importance et l'influence possible sur les mystiques espagnols comme St Jean de la Croix, moins sur les pénitences et les mortifications, que sur l'abnégation intégrale, le pur amour désintéressé, le renoncement même aux faveurs et suavités spirituelles.
C'est ainsi que Sidi Ahmed distinguait les mondains absorbés par leurs intérêts temporels ; les dévots qui aspirent à la vie future et songent à leurs intérêts spirituels, et les gnostiques initiés à la connaissance divine qui ne se préoccupent que de Dieu. Celui, disait-il, qui sert ce bas monde est un captif, celui qui agit en vue des récompenses célestes est un mercenaire, celui qui sert la Vérité pour elle-même est un prince. Notre doctrine est d'adorer Dieu en vue du bien et sans motif intéressé. Celui qui pratique la dévotion par crainte du feu de l'enfer ou par désir des houris du paradis est comme un esclave et un mercenaire.
Nous savons aussi qu'il préconisait la voie passive du jdeb, de l'extase, et se montrait favorable à la méthode très répandue déjà des concerts spirituels, des litanies du dzikr et de la danse extatique. Certains le lui reprochèrent. Le cheikh El-Kharroubi, disciple lui aussi du cheikh Zerrouq, lui demanda un jour s'il n'était pas dangereux de profaner la sagesse en multipliant les initiations. d'apprendre et de faire chanter les noms divins au peuple et même aux femmes. Sidi Ahmed répliqua que faute de mieux la psalmodie sacrée occupait l'un de leurs sens et apaisait leur âme. Et le cheikh El-Kharroubi s'inclina devant ce point de vue qu'il reconnut dériver d'une connaissance plus étendue que la sienne.
Devenu (après avoir failli être capturé par un corsaire chrétien) dans sa région d'origine, à Ras-el-Ma près de Mascara, sur l'ordre d'un mystérieux danseur extatique, il ouvrit une zaouia et commença à être connu comme professeur et comme saint. Après deux siècles fort brillants, la dynastie zénète de Bagou Zélan ou Abdelwad de Tlemcen était en décadence. Sidi Ahmed fut en assez mauvais termes avec ses derniers représentants. L'accueil triomphal fait un jour au saint par la population d'Oran lui aurait attiré la jalousie de l'émir. Les persécutions que lui firent subir les Banou Zéïan leur valurent sa malédiction. Les Espagnols prirent Oran en 1509 ; les Turcs occupèrent une première fois Tlemcen en 1517 puis définitivement en 1555. C'est en 1517, date de l'installation des Turcs à Alger, que Barberousse envoya des présents à Sidi Ahmed, qu'il avait peut-être secrètement rencontré quelques années avant au mouillage de Christel, lors d'une de ses croisières, et conclut avec lui un tacite accord d'aide mutuelle.
Sidi Ahmed s'était d'abord réfugié à l'Hillil pour se cacher des émirs tlemcéniens. On le retrouve dans la vallée du Chélif, puis à Mazagran, à Tlemcen, où il échappe, dit-on, miraculeusement au bûcher, et où il est emprisonné par l'émir Abou Hammou.
Les " égorgés ":
Il dut pousser des pointes vers le Sahara où il a encore des disciples, et où il prononça un de ses dictons en prose assonancée : " Votre sable a desséché ma gorge ; vos pierres ont usé mes pieds et votre eau ne m'a pas désaltéré. Je n'en ai même pas eu assez pour mes ablutions ".
-" Si tu trouves le Sahara si mauvais, lui dit alors son disciple Sidi Sliman Bou Smaha, il vaut mieux que je le quitte aussi ".
" Non, répliqua le saint, reste ; tes descendants le peupleront. Le désert est un puits dont le chameau est le delou (sac de cuir avec lequel on puise) ".
Ce Sidi Bou-Smaha, aïeul du fameux Sidi Cheikh, père de la grande confédération du Sud oranais, est le premier des fameux " égorgés " medabihin. Voulant mettre à l'épreuve ses disciples et choisir les plus dévoués, Sidi Ahmed déclara qu'une révélation lui ordonnait d'immoler sept de ses meilleurs fidèles. Qui voulait offrir sa gorge au couteau ? En entendant cet oracle, la foule commença à s'éclaircir. Finalement, sept fidèles restèrent seuls et entrèrent l'un après l'autre dans la maison du saint sous la porte de laquelle on vit chaque fois couler du sang. C é:ait naturellement celui de simples moutons. Le premier de ces " égorgés"" est Sidi Sliman Bou Smaha dont le tombeau imposant, reconstruit par Bou Amama s'élève à Béni-Ouf; parmi les autres, on cite Moulay Guendouz dont la tombe, vénérée des caravanes et où l'on dépose des offrandes pour les pauvres voyageurs, est à Oglet Agouinin, du Gourara, sentinelle mystique aux abords dangereux du Grand Erg occidental. On pense qu'il y avait aussi une femme, laqelle serait Talla Setti, qui veille du haut de la falaise sur Tlemcen et Mansourah.
Si l'on en juge par les dictons en arabe dialectal du temps excellent et rare document linguistique, Sidi Ahmed ben Youssef voyagea beaucoup dans l'Algérois et l'Oramie. Ces sentences rythmiques, assonancées, plus souvent satiriques qu'élogieuses, concernent les tribus et les villes diverses. Sans doute n'est-il pas responsable de la plupart et a-t-on mis sous son nom bien des traits fabriques après lui.Peut-être est-ce le cas de dire qu'on ne préte qu'aux riches. Blida " la petite rose " et Médéa "la bien dirigée", sont à peu près les seules villes louées. Il juge paradisiaque, on ne sait trop pourquoi, la petite Sirât (aujourd'hui dans la commune mixte de La Mina). Il est sorti d'Alger " ahuri ".>Il trouve qu il y a dans le Chélif plus de cafés que de mosquées ; qu'on dépense trop d'argent à Oran "la dépravée"; qu'un faux dirhem de cuivre vaut mieux qu'un taleb du Ghriss ; que cent pêcheurs de l'Orient valent mieux qu'un honnête homme du Maghreb, etc. La charité ne permet guère de citer tous lcs de ce "" blason populaire " dont les victimes elles-mêmes continuent à se délecter.
Sidi Ahrned bon Youssef mourut en voyage, l'année 931 de l'hégire, 1524 de l'ère chrétienne. Selon ses dernières volcn'és comme en de nombreuses légendes hagiographiques, le cadavre, lavé à Kherba, à l'ouest du Zaccar, fut placé sur une mule pour être enterré là où elle s'arrêterait : ce fut à l'entrée de Miliana, dans un terrain vague où l'on déposait les ordures de la ville, conformément, paraît-il, à une prédiction de son traître Zerrouq.
Il avait épousé, dit-un, à Ras-et-Ma, une Lalla Setti, fille de Sidi Amor et-Trari, puis Kalila, de la Qalaà, Khadija la mérénide et Aïcha, fille de Sidi Gad ben Merzouqa. Certains lui attribuent deux fils et deux filles ; mais d'autres croient qu'il mourut sans postérité naturelle et que Mohammed ben Merzouqa, fils de la fille de Sidi Gad, et dont il fit l'héritier de sa baraka confrérique, n'était que son fils adoptif.
A Miliana, il y a plusieurs familles, fortes d'environ 300 âmes, qui descendent du saint ou de ses disciples " égorgés ". Ils cultivent les domaines de la zaouia et se partagent les revenus des ziaras, y admettant :uutefois les descendants habitant d'autres régions lorsqu'ils sont présents le jour du pèlerinage. L'ouzi qui gère la zaouia est systématiquement choisi en dehors de ces familles afin d'être cumpleteriien , impartial.
Il y a des descendants d'lbn Merzouqa, les Merazquia, chez les Béni Ferah des Braz. On trouve des Ouled Sidi Ahmed ben Youssef qui descendraient d'une de ses filles, Oued Chaïr, ancien douar de la commune mixte de Berrouaghia, et qui vont à Miliana en octobre. On trouve des Medabihin ou Mdabih dans les annexes de Méchéria et de Ghardaïa. Au Touat, les habitants de Mahidia et de Tamassekht font remonter leur origine à Sidi-Ahrned. Sidi Bouzar, arrière petit-fils de Sidi Mohammed Sghir, qui serait le fils cadet de Sidi Ahmed a une qoubba près de Miliana. Le principal chef de la confrérie youssefiya, branche, comme nous l'avons dit, des Chadéliya, est Si Khalladi Ben Miloud, bachaglia de Tiout près d' Aïn-Sefra , et conseiller de la République. Il se rattache à Sidi Moumen, fils d'Ibn merzouga dont le petit-fils Khalladi, édifia le sanctuaire de Miliana aux frais du bey d'Oran, Molhammed el Kebir; et dont un descendant s'installa à Tiout, y épousa Lalla Keltouma, fille de Sidi Aïssa, se fit une clientèle dans la grande tribu des Hamian et y mourut en 1813. Si Khalladi, qui connut Lyautey Isabelle Eberlhardt, est un grand chef arabe du Sud, lettré en français et en arabe, à l'esprit liés ouvert. Il suit avec dignité les traditions d'un seigneur mi-temporel mi-spirituel, soucieux de ses devoirs à l'égard de ses clients, plein de verve à l'égard des hypocrites et fort loin de l'obscurantisme des faux dévôts. A Tiout, village de toube rouge serti dans une oasis de palmes vertes, de peupliers et d' acacias, elle-même environnée de roches rouges dont certaines portent des gravures préhistoriques, il m'a montré la Porte de Sidi Ahmed ben Youssef et la pierre sur laquelle, dit-on, sa gargoulette rebondit sans se casser. Il m'a procuré le texte assez rare des roumouz, " allusions ". de Sidi Ahmed ben Mousa, poèmes mystiques en dialectal du XVI"" siècle.
Ce Sidi Ahmed ben Moussa, fondateur de la prestigieuse zaouia de Kerzaz, dans l'oued Saoura, sous des dunes formidables de 194 mètres, était précisément un disciple de Sidi Ahmed ben Youssef. Celui-ci se trouve au noeud d'un très grand nombre de silsilas, chaînes initiatiques des confréries de l'Islam maghrébin issues du chadilisme, ce qui explique son prestige quasi universel. Certains de ses disciples ont été plus discutés. Un disciple indirect, Ibn Abdallah, forma une secte hérétique, dite des Cherraqa ou Youssoufia, qui fut désavouée par le saint, se développa après sa mort et fut détruite par le sultan marocain Ghalibbillah. Peut-être les survivants donnèrent-ils naissance aux Bdadoua et autres petites sectes non conformistes du Maroc qui se réclament de Sidi Ahmed ben Youssef à tort ou à raison.
Chez les Athâouna:
Outre ces Bdadoua du Gharb, de la région de Petitjean et des Ouled Aissa, où les Mlaïna rappellent le sanctuaire de Miliana. il y a les Zekkara de la région d'Oujda, avec des Ouled Sidi Ahmed ben Youssef , les Ghiata de la région de Taza, et les Ghenânema, chez les Rehamna du Haouz de Marrakech, qui ont des coutumes assez mystérieuses et fort archaïques. Le cinquième groupe à part est formé des Athâouna, fraction des Ghenânema de la Saoura dans le Sahara Sud oranais. Quand je suis allé à Tametert, leur qçar , ils ont baisé pieusement les photographies que je leur apportais du sanctuaire de Miliana, ssorti du coffre aux archives les manuscrits des chaînes initiatiques et confirmé leur apparentement avec les quatre groupes marocains ce qui pose d'ailleurs des problèmes, car le Zekkara et la Ghiata sort do purs zénètes berbérophones, et les Ghenânema sont des Arabes magils. Sans doute s'agitil de très anciennes populations ayant conservé des traditions préhistoriques et qui sont ou bien restées sur pl.eco dans des montagnes isolées, ou bien ont été entraînées dans les remous des invasions.
Leur pèlerinage à Miliana se fait souvent à la suite d'un rève : le saint ordonne de venir à Miliana et d'en repartir. Dans une cour annexe du sanctuaire s'installent ces pèlerins ; 1es hommnes travaillent un peu aux jardins de la zaouia : les femmes disent la bonne aventure e elles ne sont pas voilées, perlent hardiment aux hommes dans la paume desquels elles placent une bande d'étoffe où sont cousus des petits coquillages, cauris pour y lire l'avenir. Quand je suis venu à Miliana. il y avait là une vieille athouânia gui avait quitté trois fois la lointaine Saoura à la suive d'un rêve, mais avait dû revenir, sur l'ordre d'un autre rêve. une première fois à moitié chemin une seconde tout près du but. Docile, elle attendait un nouveau rêve pour regagner le Sahara avant de mourir.
Sidi Ahmed ben Youssef est également le patron des Béni Adès et des Amer, sortes de bohémiens musulmans (différents des guatanes ou gitans catholiques d'origine espagnole qu'on trouve à Alger), nomades, maquignons, casseurs de pierres, dont les femmes sont souvent tatoueuses et diseuses de bonne aventure, et qui ont un campement permanent à El Alia de l'Harrach.
Signalons aussi qu'aux douars Tacheta et Zouggara les femmes sont très libres, grâce, dit-on, à Sidi Ahmed ben Youssef qui aurait interdit aux maris de s'opposer à aucun de leurs caprices, sous peine de sécheresse et de calamités agricoles.
Pèlerins citadins et montagnards:
Sidi Ahmed est aussi très vénéré des citadins, de la bourgeoisie des villes comme Alger, Blida, Boufarik. Cherchell, qui y viennent généralement en été. Naguère encore, leur rkab, leur cortège, était imposant, avec ses drapeaux et ses musiques. Il entrait par la porte du Zaccar. Le soir, un orchestre avec violon et luth jouait des airs de la classique musique andalouse. La tradition était d'improviser des sketches burlesques, mimant des scènes de ménage, des tableaux de moeurs fortement satiriques, mettant en scène des cadis véreux, des hommes d'affaires laissant tout nus leurs clients paysans, des tartuffes à grands chapelets dont les grains étaient des pommes de terre et nui se terminaient par une carotte, etc.
Le calendrier des ziaras est très chargé ; les cortèges s'échelonnent de mai à novembre. Les douars Boumad et Zaccar viennent après la moisson en juillet ; et Hammam, Oued Djer et Djendel en octobre, Adélia et Djelida après les semailles. Le pèlerinage le plus important est celui de la tribu des Béni Ferah, à la mi-mai, avec les douars et Aneb et Béni Ghomeriane (commune mixte des Braz) et Boulhal (commune mixte de Cherchell). On raconte que les Béni Ferah sont joyeux comme l'indique leur nom, grâce à un voeu du saint en faveur d'un serviteur berbère de cette région. " Qui les rejoint est dans la joie, et qui les quitte dans la tristesse ", proclame un de ses dictons, qui, comme nous l'avons dit, sont rarement aussi bienveillants.
Le cortège des Béni Ferah:
Le cortège des Béni Ferah confirme bien cette réputation d'allégresse. Il se rencontre avec les pèlerins de Duperré à Oued Ebda, où l'on passe la nuit. Les premiers arrivés reçoivent les nitres, vont un peu au devant d'eux, les drapeaux au centre d'une ligne d'hommes armés de fusils ; les étendards se saluent au moment de la décharge. La nuit se passe en concerts, en danses du fusil, voire en spectacles cinématographiques quand le camion-cinéma du Gouvernement général est présent.
On repart au matin. Les Milianais vont au-devant du rkab jusqu'à un petit bois qui domine la route de Levacher, à quelque deux kilomètres des remparts. Des joueurs de flûtes, de glaaïta et de guellal distraient, en attendant, la foule en costume de fête. Des Ammaria, accompagnés de tambourins (bendaïr) et de flûtes de roseau, exécutent l'ijdeb. danse extatique, avec le grand tremblement caractéristique de leur confrérie. Vers une ou deux heures de l'après-midi, on aperçoit le cortège avec ses beaux cavaliers et ses drapeaux de soie rose et bleue, précédé par l'auto du caïd. Du haut du talus, les femmes en blancs haïks jettent, en poussant des youyous, des bouquets de roses aux cavaliers ; caressent la soie des drapeaux et s'enveloppent de leurs plis. Un grand gaillard avec une canne, tel un tambour major, d'une main, et un bouquet de l'autre, danse avec des gestes saccadés, stylisés, d'automate. Des hommes chantent. Des mulets suivent, chargés de provisions et de fourrage. Les Ammaria se joignent au cortège et dansent à reculons. Les ghaïtas, les guellals et les benda r résonnent joyeusement. Les drapeaux des Béni Ferah saluent au passage ceux des gens d'Affreville, puis ceux du sanctuaire de Miliana qui arrivent au-devant d'eux. On approche des remparts couleur d'ocre ; des coups de feu retentissent et six ou huit mille personnes foncent rapidement, par la porte de la ville, acclamées par la foule massée sur les trottoirs et s e précipitent vers le sanctuaire.
B I B L I O GRAPHIE
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Posté Le : 15/12/2008
Posté par : hichem
Ecrit par : Écrit par Émile DERMENGHEM
Source : www.milianaville.com