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POUR UNE TOPOLOGIE DU SACRE



1) A) Lieux de mémoire ou lieux sacrés
1.1) a) La zâwiya
1.2) b) Lieux et moments du sacré.
2) B) Qu’est ce qu’un espace sacré?
2.1) a) Saint et sainteté
2.1.1) 1 La sainteté
2.1.2) 2 Qu’est ce qu’un saint?
2.1.3) 3 Le saint et la siyâ h a
2.2) b) L’outre monde
2.2.1) 1 L’espace de la mort
2.2.1.1) 1.1 La tombe
2.2.1.2) 1.2 Le tombeau du saint
2.2.1.3) 1.3 La qubba
2.2.2) 2 Le monde des jnûn.
2.2.2.1) 1 Lieux fréquentés
2.2.2.2) 2 Relations
3) Pour terminer: Le génie du lieu
On ne peut prétendre lire les logiques de l’espace sans une connaissance de l’imaginaire des hommes qui les produisent et les habitent.

Arrachés à l’inclémence de l’environnement, les ksours du sud ouest que nous étudions depuis quelques années ne peuvent s’imaginer livrés à la seule logique de l’espace temps. C’est à dire obéissant uniquement à la contrainte extérieure. Ils auraient immanquablement disparu, ensevelis sous les sables. Auraient-ils jamais existé? Ce sont les croyances sacrées fortement ancrées dans les lieux qui ont sauvé ces établissements de l’oubli et de la disparition. Le souvenir sollicite le lieu du temps jadis et la mémoire le réinscrit dans la marche de l’histoire.

Le petit ksar de Massine serait peut-être porté disparu, depuis déjà fort longtemps, si chaque mawlid, on ne venait pas, de loin, de très loin, revivre un événement sous forme de culte. Le rituel donne à l’événement la force nécessaire pour se propager; et au lieu, suffisamment d’énergie pour perdurer. Aujourd’hui encore, beaucoup de conduites, apparemment tout à fait profanes, sont déterminées par des comportements à l’origine desquels se trouve le sacré. Ainsi de l’ouverture des routes, vers les localités comme Massine 1 ou Zaouiet Sid El Hadj Belqacem dont le désenclavement fut jugé prioritaire, eu égard aux festivités qu’elles accueillent annuellement.

Ilen va de même pour le ksar de Kenadsa qui a résisté, un siècle durant, à toutes les agressions que la colonisation lui a fait subir. Ni les nouvelles logiques économiques représentées par les mines des Houillères du Sud Oranais, ni la colonie de peuplement qu’elles ont engendrée ne sont venus à bout du petit ksar. Il a continué à défier la ville coloniale et ses occupants. L’indépendance, d’ailleurs, ne l’a pas ménagé outre mesure. La logique basée sur la domination de la ville nouvelle a continué. Le ksar a fini par fléchir, mais en continuant à braver vaillamment de temps à autre, l’espace d’un mawlid, les nouvelles logiques.

Le mawlid et les lieux où il se déroule, jouent le rôle d’un fixateur d’images; car, “...une vérité, pour se fixer dans la mémoire, d’un groupe, doit se présenter sous la forme concrète d’un événement, d’une figure personnelle, ou d’un lieu” 2 . Ainsi une vérité se trouve largement socialisée, dès lors qu’elle se présente sous la forme d’un souvenir... concret, se déroulant sur un lieu déjà perçu par le groupe comme le lieu d’une croyance collective. Le souvenir remémoré sera désormais partagé et contribuera, à son tour, à renforcer le lieu dans son rôle de ciment du groupe.

La différence des explications et la variation des légendes, autour de tel événement ou de tel lieu révèlent le travail d’élaboration et de construction de la mémoire, mémoire continuellement en acte. La concordance de quelques éléments de l’événement dans les différentes façons de le rapporter; et, le consensus autour d’un lieu, constituent parfois la preuve de l’historicité de l’événement. Une historicité qui, pour s’ancrer comme vérité, doit d’abord accepter de se déformer.

Les légendes racontées sur ces lieux sont souvent divergentes. Rares sont les personnes en possession d’une explication sûre à propos d’une cérémonie et de son lieu de déroulement. Quand elle existe, l’explication n’est pas toujours soutenable. A Kenadsa, les haltes lors de la procession ne sont pas toujours comprises. Les occupants des tombeaux visités ne sont pas toujours connus. On confond la fille et la femme du saint Sîdî M’hammad b. Bûziyân. Les textes lus sont loin d’être compris dans leurs connotations mystiques. Ceux qui les récitent de mémoire en déforment parfois le sens en écorchant, par ignorance, certains mots.

A Timimoun les questions se rapportant aux lieux où se déroule la fête (al-manjûr, Sûq Sîdî Mûsâ etc.) demeurent souvent sans réponse. Cependant, tout le monde s’accorde à reconnaître à ces lieux une charge symbolique. On (ré)invente des histoires, on les arrange pour expliquer le sens des lieux. Cette jonction entre lieu et souvenance imaginée, transforme l’espace jusque dans sa perception même. Combien de fois, lors du mawlid de Timimoun, devant notre étonnement sur l’importance des pèlerins au lieu dit al-hufra, on s’est entendu répondre, par exemple, que la hufra, ce jour là, s’agrandissait pour accueillir tout ce monde. Petite en réalité, elle se transforme aux yeux des pèlerins et des autochtones acquis à la cause. Car, en même temps qu’elle transforme ces espaces en lieux de mémoire, la mémoire en fait des lieux sacrés. Plus qu’une conséquence du travail de la mémoire, la sacralisation d’un territoire apparaît comme une condition préalable à sa transformation en lieu. Lieu de mémoire et lieu sacré découlent d’un seul et même processus.

Le parcours qui dure toute la matinée à Kenadsa; une semaine à Timimoun, passe par de tels lieux, les plus importants pour la mémoire, préfigurant le lien communautaire à travers cette liaison spatiale. En voyageant dans l’espace, les habitants de ces contrées s’interpellent, en fait, pour un voyage dans le temps. Une remontée vers les origines que l’histoire et la mémoire fabriquent plus qu’elles ne s’en souviennent.

1) A) Lieux de mémoire ou lieux sacrés
Si l’on admet la division, en quatre grandes catégories, des lieux sacrés (lieux cosmiques, lieux historiques, lieux d’accomplissement eschatologique, lieux de règne), élaborée par A. Dupront, comme pertinente, tous les lieux que traversent le cortège du mawlid, aussi bien à Kenadsa qu’à Timimoun, peuvent être considérés comme des lieux sacrés.

1- Les lieux cosmiques ici sont constitués par tous ces tombeaux de saints qui sont visités à chaque étape. Ce sont ces sépultures qui constituent le trait d’union entre le monde connu et celui inconnu. C’est grâce à ces hommes morts en odeur de sainteté tels Sid al-Hâj Balqâsam, Sîdî Bû M’hammad, Sîdî M’hammad b. Bûziyân, Sîdî `Abd ar-Rahmân et les autres, que les vivants continuent à survivre paisiblement.

Les lieux qui sacralisent l’espace habité, sont ceux-là même qui consacrent le pèlerin. Ces lieux sont vénérés comme des sources, sans lesquelles, il n’y aurait jamais eu de commencement. En allant boire à ces sources, le pèlerin, non seulement se désaltère, mais il prévient, dans le même temps, d’autres soifs à venir.

2- Le pèlerin recherche également sa consécration dans les lieux historiques. A Kenadsa, en allant à Dâr ash-shaykh, par exemple, la médersa où Sîdî M’hammad b. Bûziyân initiait ses disciples aux sciences du divin, c’est d’abord vers un lieu historique que l’on se dirige.

En (re)venant à Massine, le pèlerin du Gourara s’incline devant l’histoire symbolisée par ce lieu où se seraient déroulés les pourparlers d’une réconciliation devenue un haut lieu de la mémoire. Ainsi localisé, le fait de mémoire reçoit force d’histoire. Les récits sur le conflit entre les différents çoffs qui aurait trouvé le début de sa solution ici même à Massine, passent subitement du statut de légende à celui d’histoire. Le lieu est un moyen de véridiction.

Bien entendu ces lieux historiques ne le sont que grâce à une élection divine d’où l’interpénétration du réel et du magique, de l’humain et du divin.

3- Quand les pèlerins venant de la steppe et du tell vont à Kenadsa, cette porte du désert, ils accomplissent, en fait, une épreuve qualifiante. Ils traversent la “longue route rugueuse et sans eau” 3 . Ce défi n’est relevé chaque année que parce qu’il mène à la zâwiya, lieu d’accomplissement eschatologique.

Les pèlerins du Gourara sont à la recherche du même accomplissement. Côtoyer tous ces saints, prier, danser, chanter, se nourrir et... mourir dans leur proximité est vécu, par tous, comme un accomplissement eschatologique.

4- Que ce soit à Kenadsa ou dans le Gourara, la région est également ponctuée de lieux de règne. La dwîriya de Kenadsa, cette sorte de palais de la royauté consacrée, est avant tout le siège symbolique du pouvoir de la zâwiya. Chaque nouveau shaykh a construit sa dwîriya, marquant ainsi l’avènement d’un règne nouveau.

Au Gourara, le ksar de Timimoun, al-mashwar, où trône encore la maison du caïd est un lieu, aujourd’hui encore, visité comme lieu de règne. Le barûd qui s’y déroule, à l’occasion du mawlid, ne s’explique que de ce point de vue. Toujours dans le ksar de Timimoun, la casbah de Sîdî Brâhîm, et malgré son état en ruines, est encore majestueusement juchée sur une éminence rocheuse. Lors de chaque mawlid, un ahallîl se déroule au pied de cette casbah, en signe d’hommage au lieu de règne qu’elle fut. La zâwiya de Sid al-Hâj Balqâsam, et bien d’autres lieux encore, peuvent être cités comme lieux de règne.

Selon une telle problématique, le siège de la zâwiya constitue, assurément, un des lieux symboles du sacré dans les espaces que nous étudions. Elle est le symbole de ce sacré majestueux qui est périodiquement et collectivement glorifié; mais il existe un autre sacré, celui périlleux qu’il faut soigneusement éviter et dont il faut se prémunir. Celui-là aussi à ses lieux et ses moments. La catégorisation de A. Dupront laisse peu de place à ce sacré ambivalent où le négatif et le positif cohabitent et surgissent en des moments et dans des lieux qui ne sont pas, a priori, destinés à les accueillir.

1.1) a) La zâwiya
Souvent confondue avec l'ordre qu'elle abrite, la zâwiya n'est pas la confrérie dont elle est souvent le siège. C'est un espace, à l'origine duquel se trouve un homme de foi, un quêteur du divin. Parce qu'un saint s'est isolé ici pour se consacrer à ses méditations, ou parce que le hasard de ses pérégrinations l'a mené jusque là, ou encore, parce qu'il a habité le lieu, celui-ci devient chargé et donne quelquefois naissance à une zâwiya. Les motifs sont multiples, mais tous relèvent du transcendantal. Parfois un simple "laïc" peut être à l'origine de la naissance d'une zâwiya. Un homme vertueux qui décide de léguer ses biens à une œuvre de charité, de les vouer à aider le prochain. C'est ce que l'on appelle une offrande courante, çadaqa jâriyya, la seule qui continue à gratifier son auteur, jusqu'après sa mort.

Quand cet espace est le siège d'une tarîqa, il devient le lieu où se réunissent ses adeptes pour dire leurs prières. C'est là que les héritiers spirituels du saint vont recevoir et dispenser le `ilm. Un `ilm fait d'apprentissage et de transmission de la connaissance des chemins qui mènent à l'Absolu.

Même quand elle est le siège d'une tarîqa, la zâwiya, en dehors des séances propres à ses adeptes, est ouverte à tous. Il n'y a aucune restriction, ni d'âge, ni de sexe, ni de religion. Le saint se veut un universel et son lieu le symbolise.

Matériellement, la zâwiya peut se réduire à une grande salle. Elle peut également consister en plusieurs espaces destinées à accueillir les visiteurs. Une partie est le plus souvent réservée aux femmes qui viennent implorer le maître des lieux, souvent enterré sur place, de leur accorder le mari ou l'enfant tant espérés.

C'est la sépulture du saint (et parfois celle de ses enfants ou de ses héritiers) qui donne de la solennité au lieu. Un tombeau surmonté d'un catafalque en bois (thabût) recouvert d'étoffes aux couleurs vives, est l'objet de toutes les sollicitudes. On rentre pour s'asseoir ou pour le contourner dans le sens contraire aux aiguilles d'une montre en l'implorant, à voix basse mais insistante, à exaucer un vœu. Cette demande est souvent accompagnée d'une promesse (wa`da) qui sera tenue quand le vœu est satisfait. La salle de prière (ou carrément une mosquée) qui lui est souvent attenante ajoute du sens aux gestes, aux mots et à l'endroit. Les tapis étendus à même le sol, les luminaires accrochés aux plafonds, les miroirs, les étendards et les tissus accrochés aux coins et sur la face des murs dotent la zâwiya d'une atmosphère que viennent accentuer les effluves de l'encens brûlé et les exhalaisons des fréquents arrosages de parfum, offrandes au lieu et à son(ses) occupant(s). C'est tout cela à la fois qui fait de la zâwiya le lieu que l'on pense en mesure de dissiper tous les maux.

Dispensaire, ce lieu est aussi un institut. La zâwiya a joué le rôle de cellule culturelle grâce à laquelle souvent des bribes d'histoire et de connaissance ont été sauvées. C'est là où la mémoire écrite des hommes de l'Islam est souvent déposée. Malgré le pillage, la négligence et les aléas de l'histoire, c'est encore dans des zâwiya-s comme celle de Kenadsa et ses semblables, nombreuses au Gourara, où l'on risque d'exhumer la trace d'un passé irrémédiablement perdu. 4

Son ethos a servi à tisser le lien social. C'est là où l'on apprend à servir autrui, à obéir, à donner et à recevoir. C'est l'espace du secours porté au malade et du soutien témoigné au pauvre et à l'orphelin.

la zâwiya est le siège du temps collectif. Elle est au centre du festif. Durant, les ziyâra-s, les mawlid-s et autres manifestations, la zâwiya devient le lieu polarisateur. Même quand la fête est essentiellement profane, la zâwiya demeure souvent au centre des festivités. Barkâyashshû qui est une mascarade où les groupes ethniques et les divers lignages jouent des rôles précis dans une atmosphère carnavalesque. La principale cible, consentante, de cette fête délibérément et outrancièrement grivoise, est le sayyid, le chef de la zâwiya. Entre autres paillardises, le juif monté sur son chameau vient lui vendre des mètres de tissus sous forme de bras d'honneur. 5

Mais, le lieu peut être aussi le siège de réalités d'une toute autre envergure. En prenant de l'ampleur et de l'épaisseur, il devient également espace du politique. C'est souvent à l'ombre des zâwiya-s que se sont jouées les grandes destinées du territoire. Très tôt la colonisation a dû affronter des hommes de zâwiya comme Abdelkader ou El Mokrani. L'atlas saharien serait demeuré insoumis sans une suprématie sur les Ouled Sidi Cheikh dont l'un des descendants, Bouamama fut un indomptable séditieux. Vaincu et son territoire soumis, Il vint justement se réfugier dans les oasis du Gourara, au Deldoul, d'où il continua à mener une lutte aux effets de plus en plus inoffensifs. La zâwiya fut l'endroit où se fomentaient toutes ces insurrections confrériques dont l'histoire nationale n'a retenu que l'épisode final: la soumission.

1.2) b) Lieux et moments du sacré.
Du côté de Tasfaout, le pays du grand saint Sîdî Mûsâ, le patron spirituel du çoff des Sufyân et que tout le monde vénère, se trouve un lieu appelé al-maskhûtîn. Des roches en forme d’hommes voilés chevauchant des chameaux. A cet endroit, dit-on,

“une nouvelle mariée venant de Béni Mehlal et allant à Charouine, fut soudainement surprise, elle et son cortège, par la tombée de la nuit. Une partie de ses accompagnateurs ont alors suggéré, en attendant le matin, de se rendre à la ziyâra de Sîdî Mûsâ qui se déroulait cette nuit là. Certains refusèrent et passèrent la nuit sur place. Ceux qui s’y sont rendus ont été épargnés, mais les autres ont été retrouvés le lendemain statufiés; et depuis, cet endroit est connu sous l’appellation d’al-maskhûtîn (les pétrifiés).”

La pétrification est un thème assez récurrent dans la culture mythologique arabe. 6

Ulâd Sîdî Lahsan est une tribu du Gourara qui s’interdit de traverser al-manjûr de long, en long, pour des raisons, au départ, de sécurité qui se sont transformées en croyances. C’est un lieu de mémoire où pratiques et croyances liées à l’espace relatent l’histoire des populations qui l’ont habité. Les Ulâd Sîdî Lahsan, appartenant au çoff Yahmad, parlent d’une pierre invisible suspendue et qui risque de leur tomber sur la tête au moment où ils traversent. Cette croyance est une allégorie au danger que cour(ai)ent les Ulâd Sîdî Lahsan à Timimoun, par le fait de l’opposition des deux çoffs.

Ouled Saïd est une oasis du Nord de la sebkha. C’est un espace dont la domestication apparaît d’autant plus remarquable qu’elle (l’oasis) se situe à côté de ces mystérieuses collines appelées Toubchirin. S’agit-il d’une cité jadis habitée ou d’un lieu de culte ancien comme le supposent certains chercheurs 7 ? Peu importe, c’est en tous cas un lieu aussi important que l’oasis voisine. Il est habité, dit-on, par des êtres surnaturels. Il est craint et respecté comme lieu chargé. C’est un repère dans la topographie régionale. Il montre l’imbrication du naturel et du surnaturel.

Sur la route de Guentour, à al-Ghandûs se trouve un walî dont la qubba rouge ocre n’est jamais peinte en blanc. Si on la blanchit la pluie la lave dit la croyance locale. On peut penser que la couleur blanche est exclusivement réservée au sacré strictement positif. A l’intérieur de cette qubba se trouverait une vipère, velue précise-t-on, qui empêche les visiteurs indésirables de rentrer à l’intérieur du mausolée. Malgré son apparente ambivalence, ce lieu (maqâm ) est considéré comme le siège d’un sacré bénéfique. il est respecté et visité avant le départ en pèlerinage.

Ce type de sacré ambigu foisonne dans la région. En pleine dune sur la route de Thala, il y a un tamarix chargé et envoûté. Plusieurs personnes s’y sont perdues dit-on.

Il est important de remarquer que ces croyances continuent à fonctionner et même à s’adapter à l’évolution. Preuve en est la légende, assurément récente, d’un certain Ahmad la`war (le borgne), que beaucoup de gens affirment connaître au moins une personne l’ayant rencontré sur sa route. C’est un automobiliste qui propose de l’aide aux gens, la nuit, sur les routes. Il a dépanné de nombreuses personnes et a transporté beaucoup d’autres sur son propre véhicule. La particularité de son véhicule, c’est qu’une fois assis sur les sièges on voit la chaussée sous ses pieds. Certains, surpris par un tel spectacle, s’exclament en prononçant l’expression bismillâh. A ces malheureux, une telle imprudence leur vaut un réveil brutal. Ils se retrouvent stupidement assis à même la voie goudronnée. Cette légende est un des marqueurs de la région du Gourara; car, Ahmad la`war n’opère que dans cette région.

Positif ou négatif, le sacré est nécessaire pour le lieu. Ce dernier ne devient visible, en quelque sorte, qu’à partir du moment où il contient de l’invisible. Autrement dit pour qu’un endroit se détache du magma de l’étendue et devienne perceptible, il lui faut au préalable être investi d’ “idées-images”, de “figures-archétypes” et de “corps subtils” 8 .

2) B) Qu’est ce qu’un espace sacré?
Il faut le dire et le souligner: Dans les espaces qui nous occupent, la dichotomie sacré/profane est inopérante. Il n’y a pas l’espace sacré d’un côté et l’espace profane de l’autre; mais un espace où le sacré est tantôt organisé et se manifeste en rites et de l’autre le sacré à l’état brut, non organisé où la force du numineux peut être mobilisée accidentellement, à tout moment. Elle peut alors enchanter ou faire du mal.

Cet espace du sacré chaotique, nous l’avons appelé le sacré de la marge. Il peut posséder ses haut lieux (maqâm-s), comme le lieu dit al-ghandûs. Ces lieux-là ne sont pas accessibles à tous. Leur grammaire d’approche n’est pas connue de tous. Les personnes consacrées peuvent y être admises, les autres courent des risques considérables.

A ce sacré de la marge s’oppose le sacré positif. Deux sacrés et deux types d’espaces: celui en possession des jnûn, d’une part, et le domaine des morts d’autre part. Les deux espaces sont, en général, le territoire du vacant et de l’inhabité; opposés aux lieux que l’homme a investi d’un traitement architectural et qui, de ce fait, sont des domaines culturés.

Nos enquêtes empiriques nous ont permis de constater que l’espace, chargé de sacré positif, l’est ou le devient par le biais de deux modalités: le saint homme ou/et la tombe.

2.1) a) Saint et sainteté
Avant de parler du saint homme, commençons par dire brièvement à quoi renvoie la notion de sainteté en Islam. Celle-ci est une catégorie qui oppose au monde de la souillure, celui de la pureté totale. Sa traduction est toujours réductrice. Le mot quds qui est littéralement le plus adéquat n'intègre pas toutes les dimensions. La racine hurm renvoie à la sainteté et au sacré, à l’impur et à l’interdit 9 .

Sans vouloir, à nouveau, aborder, ici, en détails, notre conception du sacré déjà exposée plus haut, nous précisons tout simplement que nous faisons une distinction entre sacré et sainteté en ce sens que si la sainteté est une modalité d’épiphanisation du sacré, celui-ci demeure l’essence et le principe.

2.1.1) 1 La sainteté
La sainteté est tout à la fois un état et une démarche que choisissent quelques hommes en quête d’absolu. C’est une expérience existentielle qui vise à atteindre le secret divin: le dévoilement. Cependant, c’est aussi une culture, dans la mesure où ces démarches individuelles ne demeurent pas confinées à une quête privée de l’Absolu. Elles se traduisent également par un ethos et une pratique largement partagés. De ce point de vue, la sainteté serait une sorte de way of life paradigmatique, un éxemplum dont s’inspire la Loi de la cité

En sainteté, en principe, on ne rencontre ni plèbe (`âmma ) ni élite (khâçça ), ni citadins ni ruraux. Une telle notion défie toutes les catégorisations temporelles. Tous les saints sont d’abord des amis de Dieu et à ce titre maîtres du sens. C’est ainsi que les percevaient les premiers hagiographes du début du XIIIème s maghrébin. Tâdilî 10 , par exemple, alignait dans sa biographie hagiographique des saints, blancs et noirs, lettrés et analphabètes, femmes et esclaves La terre du Maghreb est parsemée de ces saints anonymes, auxquels on ne connaît ni nom ni filiation ni région d’origine désignés par des noms, devenuscommuns, comme Sîd al-Mukhfî (Saint caché ou inconnu), Sîd al-Ghrîb (Saint étranger). Ils témoignent de cette époque où la sainteté était, avant tout, un défi aux taxinomies sociales connues. La sainteté était, pour le moins, extérieure aux solidarités organiques.

Cependant, cet esprit changera très vite. Dès la fin de ce XIIIème siècle, la sainteté devient héréditaire et les hagiographes insistent sur la transmission de la sainteté 11 . Les arrangements généalogiques aidant, les saints deviennent des ancêtres éponymes et finissent par incarner un groupe ou/et une localité et en deviennent les emblèmes. Le quatorzième siècle semble avoir inauguré cette tradition où les villes se mettent sous le patronage d’un saint.

Timimoun comme Kenadsa sont les produits de ce mouvement. Sîdî Mûsâ, saint Patron du Gourara, est contemporain du premier saint fondateur de Kenadsa: Sîdî `Abd ar-Rahmân (XVème s). C’est un indice qui pourrait renseigner sur l’état et le début des rapports entre ces régions et le Nord du Maghreb

2.1.2) 2 Qu’est ce qu’un saint?
Le vocable, très populaire, de walî sert à désigner le saint homme dans tout le Maghreb et ailleurs. Ce qui témoigne de l’origine de la conception même de la sainteté. Venue du soufisme, elle s’est répandue dans l’islam vécu. Le saint est un walî allâh, un ami ou un proche de Dieu, qui tend vers l’ittihâd (l’union à Dieu), par l’ascèse et le renoncement.

Comme dans le soufisme, le grand saint est désigné ici aussi par le terme de pôle (qutb ) ou celui de secours (ghawth). Bien entendu, ce sont les confréries, turûq (pl. de tarîqa/voie) qui ont popularisé le phénomène au Maghreb..

La polysémie du vocable saint est bien rendue en arabe par la multitude de mots utilisés pour désigner le saint homme. Walî (pl. awliyâ) de walaya qui signifie d’abord proximité et se rapproche du sens de l’amiticia 12 est une notion recouvrant à la fois l’amitié et la protection. Le walî est un proche de Dieu et à ce titre il tient aussi bien de la wilâya (autorité et protection) que de la walâya (proximité et autorité) 13 . Il y a le terme sayyid qui a donné le dialectal Sîdî. C’est un seigneur ou plus exactement un maître du sens. Il y a également le terme çâlih, pieux, vertueux que l’on retrouve surtout dans le pluriel çâlihîn, en parlant du panthéon des saints (diwân aç-çâlihîn). à‡âlih évoque ce qui est bon et parfait, mais aussi ce qui est réparateur. Ce qui fait du saint un bienfaiteur et le cas échéant, un réparateur. On peut aussi rencontrer le mot faqîr, (pl. fuqarâ’, dialectal: fuqra) pauvre. L’expression désigne les adeptes d’une confrérie qui ont choisi de vouer leur vie à l’adoration du divin, loin des tentations de ce monde. Ils se sentent dans un besoin urgentet prioritaire du divin et non des biens de ce bas monde; car ces pauvres... en Dieu considèrent que la richesse n’est pas celle qui s’accumule en biens matériels périssables, mais celle qui est faite d’amour de Dieu et de proximité divine.

Pour que cette proximité puisse s’accomplir, le saint doit se détacher des choses d’ici-bas et se maintenir à égale distance dans les conflits et les intérêts de ses semblables. Sîdî `Uthmân, le patron de Timimoun, et ses enfants sont ahl aç-çulh dit la voix anonyme. Ce sont des médiateurs et par conséquent des médians. Ainsi se caractérise le saint qui doit demeurer, à jamais, un étranger structurel (cf. Les thèses de E. Gellner) .

Au-delà de ces spécificités qui le caractérisent dans son agrégation au groupe, chaque saint occupe une place précise dans une hiérarchie préétablie. Celle-ci est d’ordre mystique et se retrouve partout en terre d’Islam. Elle diffère légèrement selon les auteurs qui tous s’inspirent de celle établie par “ le sceau des saints” Muhy ad-dîn Ibn `Arabî. Au plus haut degré se trouve le pôle (al-qutb) autour duquel tout gravite. Viennent ensuite deux imâm-s, sorte de vicaires du pôle et successeurs potentiels. En troisième position se trouvent les piliers (al-awtâd) qui sont au nombre de quatre. Répartis aux quatre points cardinaux, ce sont eux qui portent le monde. Ensuite, nous avons les douze naqîb-s (chefs ou délégués) qui sont au nombre des douze signes du zodiaque. En sixième position, nous avons les huit hajîb au nombre des huit sphères célestes. Chaque degré est constitué de “demeures” dont chacune, et à chaque époque, possède son propre pôle qui est au centre de la pratique des actes propres à cette “demeure” qu’effectuent tous ceux qui, à ce moment là, l’occupent.

Plusieurs catégories de saints existent, il y a les ascètes (zuhhâd), les dévots (nussâk ou `ubbâd), les pénitents pleureurs (bakkâ’ûn). Cependant, tous prennent sur eux une partie des calamités destinées aux humains. Le ghawth, le patron secours qui se trouve au sommet de la hiérarchie du panthéon, assume à lui seul les trois quarts des maux du monde. 14

Le saint le devient en apportant la preuve (al-burhân) de sa sainteté. Même quand le saint est un lettré, ce qui est souvent le cas, son action (`amal) passe avant sa science (`ìlm). D’ailleurs, le miracle peut se manifester par le `ilm lui-même. Dans ce cas là, l’acquisition du savoir se fait d’une manière exceptionnelle, à une vitesse... miraculeuse.

Vivant, le saint le devient dans le rêve (ru’ya) ou dans la maladie. L’état onirique comme celui de la souffrance sont des états intermédiaires vers le monde de l’invisible. Cependant, le véritable saint passe par des épreuves connues et obligées; dont l’une des plus fondamentales est, sans conteste, l’errance.

2.1.3) 3 Le saint et la siyâha
La siyâha c’est l’errance initiatrice ou la pérégrination spirituelle. Tout saint se doit de partir d’un lieu d’origine pour aboutir à un autre lieu (fût-il le même que celui du départ) transformé par son expérience et les tribulations de la pérégrination. Sîdî M’hammad b. Bûziyân est (re)venu à Kenadsa après son passage par la région du Drâa, au Sud, et la ville de Fès, au Nord du Maroc. Son ancêtre est venu, avant lui, de Marrakech, dit-on. Sîd al-Hâj Balqâsam est originaire d'Égypte disent certaines légendes, d’un ksar de la région disent d’autres. Il est venu d’abord à Tasfaout où il ne pouvait s’établir du vivant de Sîdî Mûsâ; il est parti à Béni Mehlal où il a enseigné avant de s’installer, à côté, dans sa zâwiya. On peut évoquer aussi Sîdî Brâhîm, le maître de Ouajda et avant lui, son ancêtre Sîdî Mûsâ.

Le thème de la mobilité est une récurrence en matière de sainteté. Cette mobilité se présente bien évidemment, sous des formes diverses. Nous avons d’abord l’errance (siyâha) qui est une étape quasi obligatoire pour accéder à la sainteté. Le futur saint commence par errer en dehors des lieux habituels. Ce sont ces pérégrinations qui fortifient l’aspirant à la sainteté. Les privations physiques (faim, abstinence, rigueur du climat) lui fournissent l’occasion de développer une maîtrise du corps et de l’esprit. La connaissance des hommes et des lieux élargit son horizon mental et spirituel.

Cette errance réelle est souvent accompagnée par une autre, moins visible, celle-là, à autrui. Il s’agit de l’absence/présence, du voyage intérieur. Car, le saint erre tout en étant sur place. Il voyage dans le monde imaginal 15 . A. Sebti rappelle que la vie du saint elle même s’apparente à un voyage en citant le vocabulaire mystique qui qualifie la voie mystique de tarîq (chemin), minhâj (voie) ou madhhab 16 , prédicat du verbe arabe dhahaba, partir.

Le saint en général allie ces pérégrinations aux nécessités religieuses. Il sort à la quête de Dieu. Le modèle canonique archétypal est celui, bien sûr, du pèlerinage à la Mecque (al-hajj). Le saint part en pèlerinage comme tout musulman; cependant, il se distingue souvent du commun par le nombre élevé de pèlerinages accomplis et les moyens qu’il utilise pour s’y rendre. En plus du pèlerinage exigé, il en fait d’autres, trois, sept ou plus. (cf. les légendes hagiographiques de Sîdî M’hammad b. Bûziyân et de Sid al-Hâj Balqâsam etc..)

Il part à pied, ou à dos d’âne (Sîdî M’hammad b. Bûziyân, Sid al-Hâj Balqâsam). Il traverse les déserts les plus redoutables, affronte les bêtes sauvages, défie les brigands et supporte la solitude extrême. Il utilise également des moyens extraordinaires. Il voyage par les airs ( Sîdî M’hammad b. Bûziyân) en emmenant des témoins avec lui. Il jouit de l’ubiquité qui lui permet d’être au hajj et ailleurs: chez lui en train de présider aux prières ou dans une autre ville comme Tlemcen (Sîdî M’hammad b. Bûziyân)

A l’occasion de leurs pèlerinages à la Mecque, Sîdî M’hammad b. Bûziyân d’une part et Sîd al-Hâj Balqâsam d’autre part, pour ne citer que ces deux saints, ont défié l’eau, la terre et l’air disent les légendes et leurs hagiographes. Autrement dit, le saint le devient grâce à un défi continuel porté à l’espace et aux lois de la mouvance. En marchant déjà il “enroule la terre” (tayy al ardh) par son pas (khutwa) qui n’est pas comme celui du commun des mortels 17 .

A. Sebti a raison de voir dans le pèlerinage une “entreprise périlleuse(...)une allégorie de la mort” 18 . Ce n’est qu’à ce titre que se comprend la topique d’un tel voyage et l’importance de sa répétition. Cependant d’autres raisons, plus temporelles celles-là, existent aussi.

Que des saints comme Sîd al-Hâj Balqâsam fassent de l’appel au hajj une de leurs fonctions principales est assez éloquent. Ceci exprime d’abord le désir de ne point “couper” avec l’ Orient, cette terre... cardinale. Les légendes qui fleurissent sur l’insécurité des routes et les défis du saint sont certes un témoignage de sa puissance et de sa force par rapport aux autres forces de la nature. Cependant, dans le même temps, le défi du saint et la protection qu’il assure à ses compagnons, ou à ceux qui l’invoquent, sont une façon de dire le pouvoir du saint à immuniser un espace pour l’intégrer à son hurm et en faire ainsi un territoire, partie intégrante de dâr al-islâm.

L’incertitude de la route, voire son insécurité fournissent au saint l’occasion d’inscrire, dans l’espace, les limites physiques de l’exercice de son autorité ; des limites, toujours de plus en plus vastes, et une autorité, en général, plus forte que les aléas de la nature se déployant jusqu’à La Mecque, référent et topos du monde musulman.

Testée et exhibée dans de telles occasions, la force du saint sera désormais sollicitée dans les activités les plus profanes. Sîdî M’hammad b. Bûziyân, le saint de Kenadsa, protégera les caravanes du commerce à longue distance en les mettant sous son hurm. De la force matérielle, on passe au signe symbolique qui suffit à faire traverser bilâdal-khawf (le pays de la peur) aux caravanes les plus convoitées. Ainsi le sacré secrète l’autorité, ce pouvoir plus symbolique que réel. Le geste de se mouvoir dans un espace est désormais une affaire de sacré. En outre, nous passons du réel au symbolique.

Tout ce détour pour dire qu’il n’y a point de sainteté sans maîtrise de l’espace dont le déplacement en est une condition centrale. Nous pourrons ajouter qu’il n’y a pas de lieu, non plus, sans la présence de la trace d’un saint. C’est pourquoi le lieu apparaît comme la cristallisation du temps dans un espace préalablement domestiqué par le parcours du saint.

2.2) b) L’outre monde
Ce que nous appelons l’outre monde, c’est cet univers, invisible et non tangible, que nous estimons, néanmoins, présent et agissant dans notre vie concrète. Ce monde voilé est perçu surtout par les effets fastes ou néfastes que nous lui attribuons. C’est le monde du mystère par excellence. C’est un univers immatériel en soi, que l’homme, cependant, pense comme étant le monde originel du sacré, le lieu d’où proviendrait cette force insondable qui se localise dans des sites et des lieux précis. Le tombeau, en général, et celui du saint en particulier, constitue l’une des portes qui ouvre sur ce monde du mystère. L’autre accès à ce monde se fait par le biais de ces créatures qu’on appelle les jnûn.

2.2.1) 1 L’espace de la mort
Plutôt que des motivations vitales, ce sont des attitudes en rapport avec la mort qui donnent sens à l’espace. C’est un fait universellement répandu: le tombeau est à l’origine de la fixation des hommes sur des sites précis. Lewis Mumford écrivait judicieusement “le culte que les primitifs rendaient à leurs morts (...) les a incités, peut être plus que tout autre besoin matériel, à se rassembler et finalement adopter un mode de vie sédentaire” 19

Le tombeau enracine les (sur)vivants dans l’espace. A ce titre, il est repère identitaire et signe d’appartenance. On se regroupe autour de la tombe de l’ancêtre commun. Le droit de s’établir sur les lieux est “défendu” par la présence d’un “titre de propriété” au poids exceptionnellement lourd: le tombeau de l’ancêtre fondateur.

Il est significatif que l’expression “se recueillir sur une tombe” n’ait pas cours en arabe. On parle de “rendre visite” (ziyâra) car l’occupant du tombeau est vivant. On ne va pas vers la tombe d’untel, mais on va lui rendre visite.

Les cimetières eux mêmes sont d’abord des noms de saints qui les protègent. D’ailleurs, ici dans ces régions, le cimetière se dit mdîna (dialectal de madîna), c’est à dire cité. Le tombeau du saint qui protège chaque cimetière est une sorte de trait d’union entre les deux mondes.

A l’importance de ces cimetières et des occupants de leurs tombes se lit l’importance d’une cité. Leur proximité dans la cité, jouxtant les quartiers habités, montre bien le continuum entre la maison d’ici-bas (dâr ad-dunyâ ) et la maison de l'éternité (dâr ad-dwâm ).

2.2.1.1) 1.1 La tombe
Cependant en dehors de celui du saint, le tombeau, en général, possède un hurm car il appartient déjà au monde de l’inconnu `alam al-ghayb. Ce monde qui est la matrice de toutes les puissances. Il y a des attitudes codifiées à l’approche des cimetières. On parle doucement, on ne fume pas, on lit le Coran, on évoque, on se souvient, on pleure etc... Toutes ces attitudes témoignent du respect porté à la mort, ce muçâb al-jalâl (atteinte majestueuse). Plus que de respect, c’est de révérence qu’il s’agit. Les sépultures, signes et témoins de la mort sont saluées à chaque passage. A l’approche d’un cimetière, on prie, indifféremment, pour tous les morts; car, on ne sait pas à qui doit-on notre salut ici-bas. Un salut continuellement menacé et constamment sauvé. Les morts apparaissent comme une sorte de “victimes émissaires” qui, en succombant à la mort, ont du même coup, capté un peu de son énergie destructrice. C’est un tel esprit qui se trouve à l’origine des choix des lieux d’inhumation. On enterre, certes à l’orée des cités, mais à proximité de l’habitat.

A Timimoun, il y a un cimetière à Ouled Brahim, il y a celui de Sîdî `Uthmân au Sud-Ouest et un autre, au Nord à côté de Tazaggakht (Sîdî Bû djam`a). Au Sud-Est se trouve le cimetière de Sîdî Bû-Ghrâra. Deux autres cimetières qui semblent désaffectés sont encore visibles. Il s’agit de celui de Tahtaït, au Nord-Est et de Sîdî Ahmad U aj-Ja`bî, à l’Est. Ces cimetières délimitent le tissu du Ksar et le ponctuent. Ils démontrent la proximité qu’entretiennent les vivants avec les morts entre ciel et terre.

A Kenadsa aussi, les cimetières enserrent le ksar. Celui de Lalla Umm Kalthûm à l’Ouest et celui de Lalla `Aïsha au Nord, veillent chacun sur une porte importante du ksar.

Tout le long de la vallée de la Saoura, les ksours qui la jalonnent obéissent au même principe. Dès qu’un ksar commence à prendre de l’importance, il se ferme et ne s’ouvre que du côté où la dépouille d’un saint le protège.

Les cimetières qui entourent le ksar constituent un trait d’union entre les deux mondes. Toujours sous la protection d’un saint, vigile aux portes de la cité, loin d’être rejetés à l’extérieur de la cité, ces nécropoles en constituent les remparts. Le principe demeure, cependant, le même. Ici, comme dans d’autres régions où l’on inhume, parfois, à l’intérieur même de la maison (comme en Kabylie), la dépouille est une sorte de bouclier protecteur.

2.2.1.2) 1.2 Le tombeau du saint
Les saints sont nombreux à protéger les morts et les vivants. De Kenadsa à Timimoun et plus bas encore, les cimetières qui entourent les ksours, sont tous sous la protection d’un saint homme. Aux principales portes des ksours se trouvent les qubba-s des saints patrons. Cependant, par leurs tombeaux, ces saints enracinent, définitivement, dans l’espace les tensions qui les ont vu naître. En s’implantant dans un cimetière, les saints immobilisent le temps et gèrent le post-mortem. Mais, quand les limites des quartiers et des villages s’estompent, quand les ksours et les oasis se rejoignent, les cimetières eux restent là, séquelles, ou signes et témoins des dissemblances et des différends d’hier.

Une des idées forces en islam maghrébin, c’est le pouvoir protecteur du lieu saint ou sacré. Cet espace est considéré comme un asile. Toutes les qubba-s sont des hurm-s, c’est à dire des lieux respectés par tous. Des lieux où le pouvoir temporel se doit de cesser de fonctionner. Un fugitif, même criminel, une fois ayant pénétré l’espace hurm cesse d’être poursuivi. Il est sous la protection du saint. Le hurm d’un saint est plus ou moins étendu, géographiquement, en fonction de la plus ou moins grande importance du saint.

Enterrer ad sanctos est une pratique courante. Elle recrée les solidarités sociales et exprime la continuité de la vie. Acte de fidélité au saint et expression de la fragilité du défunt qui recherche la protection dans l’au-delà, comme il pense l’avoir eu dans l’ici bas.

Il y a un contraste flagrant entre les tombeaux de saints et ceux des simples humains. Ces derniers sont des sépultures peu élevées. Selon un hadith “Le plus beau tombeau est celui qui disparaît de la surface de la terre”. Car le tombeau n’est qu’un lieu de transition vers l’au-delà.

2.2.1.3) 1.3 La qubba
“Néanmoins, l’attitude la plus généralement adoptée par les mortels est de chercher à faire durer leurs morts, à prolonger leur vie, pourrait-on dire, et pour cela, ils ont été amené à leur donner la marque la plus visible et géographique de la vie, l’habitation” 20 . C’est dans cet esprit que les qubba-s doivent être perçues. L’exemple typique est celui de la qubba de Lâlla Umm Kalthûm de Kenadsa. C’est une sorte de Taj mahal (toutes proportions gardées). Une chambre carrée de quelques trente mètres carrés, surmontée d’un dôme de plus de deux mètres, soit une hauteur totale de six mètres. Qui connaît la consistance des petites maisons dont est fait un ksar, un édifice avec une telle emprise et pareille hauteur est un imposant monumen.

2.2.2) 2 Le monde des jnûn.
Les lexicographes arabes font dériver jinn ou jânn (pl. jnûn) d’ijtinân (ce qui est caché, dissimulé) 21 . En fait on peut, tout autant, faire dériver le mot du latin genius, génie. Certains auteurs considèrent les jnûn comme des esprits incorporés (arwâh mufrada) 22 ; d’autres, comme des êtres corporels (ajsâm) 23 , mais d’une corporéité subtileet aérienne; ce qui explique leur nature labile et fugitive. Pour nommer ces esprits, le langage populaire utilise le terme laryâh (littéralement, les airs) et qualifie ceux qu’il considère atteints par le méfait des jnûn de maryûhîn (littéralement, touchés par le vent). Ils ont été créés d’une feu clair, dit le Coran, (LV,14), par opposition aux hommes créés du limon de la terre et des anges créés de lumière.

Les jnûn sont en fait des créatures similaires, à beaucoup d’égards aux hommes. On dénombre parmi eux des blancs, des rouges, des jaunes et des noirs. Il existe des jnûn femmes (janniyât) et des jnûn hommes. Il y a les jnûn savants et ceux ignorants. Ils tombent malades et vieillissent (légende de Ouajda). Cependant, ils ont la particularité et l’avantage de pouvoir se présenter sous une forme humaine ou de se transformer en animaux domestiques (chats) ou sauvages (pythons). Ainsi “déguisés”, ils sont reconnaissables, dit la croyance, par leur absence d’ombre.

Les jnûn sont des créatures de Dieu au même titre que les anges et les hommes. C’est ce que pense la croyance populaire, croyance d’autant plus forte qu’elle est renforcée par le texte fondamental qu’est le Coran 24 . A la différence des hommes créés de terre, les jnûn sont créés d’un magma de feu (Coran LV, 13-14). Ce sont des anges déchus, “Créés du feu de la fournaise ardente”(Coran XV, 27; LV,15). Classe intermédiaire entre anges et hommes, ils vivent plusieurs siècles et jouissent de facultés exceptionnelles

Aujourd’hui encore, devant une étoile filante, il arrive que l’on s’extasie, en pensant à un génie qui vient d’être lapidé (marjûm) par les gardiens du ciel qui l’empêchent de pénétrer le ciel et ses secrets, pour les communiquer aux devins, ces humains prompts à dévoiler le monde de l’inconnu (`âlam al-ghayb).

Le Prophôte aurait classé les jnûn en trois genres:

a- ceux qui volent en l’air

b- ceux qui rampent comme des reptiles

c- et ceux qui se déplacent comme des hommes.

Cependant, plusieurs catégorisations existent. Il y a celle qui a pour discriminant la religion. Elle permet de discerner parmi les jnûn différentes religions: il y a des chrétiensdes juifs et des musulmans. Certains iront au paradis et d’autres en enfer 25 . Une autre classification considère qu’il y a les jnûnrawhâni (spirituels); et les mulûk, c’est à dire les possesseurs. Ces derniers s’appellent sadâtna ou syadna, nos seigneurs.

Il y a enfin ceux qui distinguent parmi les jnûn., les `afârît et les shayâtîn. 26 Les `afârît sont une catégorie de jnûn spécialement néfaste et puissante. Ce sont de “mauvais génies”.

2.2.2.1) 1 Lieux fréquentés
al-Qazwînî 27 affirme qu’il s’agit d’une race créée avant Adam et habitant la terre (en surface et dans ses profondeurs), la lune, les plaines et les montagnes.

Leurs espaces de prédilection sont les déserts, les lieux inhabités, et les ruines. Dans les espaces habités, on les rencontre dans les cimetières, les maisons abandonnées, les lieux d’aisance, les seuils. Ils sont en fait partout et ils s’appellent, à ce titre, ahl al-ardh(les possesseurs de la terre). Ils habitent les lieux humides (hammam, saguia etc..). Les latrines de la mosquée comme celles de la maison ne sont pas vides de jnûn. Les unes et les autres peuvent en abriter. C’est pourquoi l’éthique comportementale voudrait qu’on y entre du pied gauche et qu’on ne parle pas dans les lieux d'aisances.

Si les jnûn sont surtout connus comme des habitants de cimetières, de maisons en ruines, de lieux d’aisance, de seuils etc., c’est parce que ces lieux constituent des limites, des extrêmes, des périphéries par définition dangereuses 28 . Ces lieux suggèrent, par ailleurs, le caractère invisible des jnûn; car, l’eau (des puits, des bassins et des séguias) les égouts, les maisons inhabitées sont comme la nuit; ils dérobent les jnûn à l’ acuité de l’œil humain.

• Le cimetière: lieu/lien de la vie et de la mort. C’est le signe matériel d’un passage d’une vie vers... une autre. La tombe constitue une sorte d’osmose entre les deux mondes 29 .

• Les maisons en ruines : Ces lieux abandonnés sont le symbole d’une rupture de la présence et en même temps un témoignage de l’absence. C’est le lieu de ce qui déjà n’est plus mais qui continue toutefois à exister.

• Les lieux d’aisance: C’est le lieu où ce qui était utile devient inutile et même nocif. C’est un lieu frontière entre le pur et l’impur. Réceptacle de la souillure il est également le lieu de la purification.

• Les seuils: comme leur nom l’indique sont des lieux de passage chargés d’ambivalence.

2.2.2.2) 2 Relations
Le monde des jnûn constitue un danger potentiel pour tous les humains en général et pour ceux d'entre eux, en particulier, qui entretiennent des relations avec cet univers. Ceux-là, notamment, doivent respecter les règles et la grammaire qui régissent un tel monde. Ils doivent connaître comment l’approcher, l’éviter ou le mobiliser.

Il y a d’abord toutes les formules illocutoires où le nom de Dieu figure. Il y a également celles où l’être admet sa faiblesse comme l’expression mkattfîn u msallmîn. Cette expression qui signifie, littéralement, liés et soumis, exprime la reconnaissance et l’adhésion au lien de dépendance qui assujettit les humains aux jnûn. Une telle reconnaissance passe pour amadouer la sensibilité à fleur de peau des jnûn, toujours prompts à sévir. Les parfums et les odeurs constituent un autre moyen d’approche. On brûle de l’encens tel que le jâwî (benjoin) ou d’autres fumigations comme la résine du Soudan (munnâs ), l’aloès (`ûd laqmârî) ou encore de l’ambre (al-`anbar), que l’on estime adaptées à tel genre ou telle situation. Le sacrifice constitue un autre moyen d’approche. On sacrifie un mouton ou un coq lors de la construction ou de l’emménagement dans une nouvelle habitation par exemple. Ce rite qui consiste à parfumer ou à verser le sang d’une victime animale sur le seuil ou dans les fondations d’un édifice en construction, est une façon d’approcher et d’apaiser les habitants du lieu: les maîtres de la demeure, ummallîn ad-dâr.

Pour l’évitement, il est déconseillé d’approcher une terre vide, un lieu humide ou tout autre espace susceptible d’ être réservé prioritairement aux jnûn, sans des précautions préalables. Ne jamais approcher un tel espace sans prononcer les paroles prophylactiques (bismillâh; mkattfîn u msallmin ; a`ûdhubillâh etc.); et surtout ne jamais jeter d’eau chaude, brusquement, sans prononcer le nom de Dieu. Cela risque d’ébouillanter ces habitants invisibles qui ne manqueront pas de réagir violemment.

Éviter même de prononcer le mot jnûn, car toute évocation de leur dénomination risque de les présentifier et leur présence est toujours un grand risque. Au lieu de les évoquer par leur nom, on préfère des expressions plus elliptiques comme dûk annâs (ces gens là) ou encore hbâb allâh (amis de Dieu).

Les jnûn peuvent habiter une maison et ne pas vouloir la quitter ; il faut alors lire beaucoup de versets du Coran, faire des offrandes, brûler l’encens etc. Ils peuvent également se lier de manière durable à des êtres humains et les “habiter” de manière à les ravir au monde des humains. Beaucoup de célibataires sont dits mariés à un jinn (quand il s’agit de femmes) ou à une jinniya (quand cela concerne des hommes).

On les chasse par des fumigations dérangeantes comme le fasûkh 30 . Une séance de danse extatique hadra (à l’instar du zâr égyptien ou le qawwali pakistanais) peut être une thérapie musicale efficace, quand elle est conduite jusqu’àu ravissement.

En somme, les hommes cohabitent avec les jnûn. Cependant, pour s’en protéger, les hommes usent de divers moyens. La meilleure des façons de neutraliser leurs actes, potentiellement néfastes, c’est bien sûr le verbe divin. En récitant le Coran, on chasse le génie. On peut également brûler des encens (bkhûr). Certains parfums comme le jâwî sont insupportables aux jnûn qui sont supposer préférer les odeurs nauséabondes.

On peut aussi pactiser par des aliments, en leur offrant la nourriture non salée. Lors des sacrifices à l’occasion de l’`ayd ou d’une autre saison de la vie on saupoudre de sel le sang de la victime, parce qu’elle est destinée à une force autre que celle chthonienne. 31

Cette imbrication du faste et du néfaste se traduit dans l’espace par le lieu et l’autre... lieu, périlleux celui-là. L’espace n’est fait que de lieux. Certains domestiqués et d’autres à jamais... étrangers. Ce qui mobilisera diversement les moyens et ressources d’appropriation de l’espace.

Les jnûn sont en conflit constant avec les hommes qui partagent leur espace. Ils infligent à l’homme des épreuves telles que les maladies physiques (infirmité) et mentales (toutes sortes de folies). Une telle proximité ne s’explique que par une conception de l’espace où le monde invisible (`âlam al-ghayb) n’est que l’autre versant du monde visible (`âlam ash-shuhûd). Les deux mondes constituent l’envers et l’endroit de la même réalité. Intimement lié au monde visible, le monde de l’inconnu est la demeure des anges et des jnûn. C’est à ce titre que ces derniers peuvent communiquer des prophéties et même procurer des bénéfices en tous genres, à l’homme qui les apprivoise.

3) Pour terminer: Le génie du lieu
A Timimoun comme à Kenadsa, les légendes font venir des saints du lointain Orient musulman. Elles les font passer parfois par le Maroc et la mythique sâgyaal-hamra. Elles les font mourir tantôt sur place, tantôt dans l'exil, ou sur le chemin du pèlerinage, toujours dans la quête de Dieu.

L'histoire des établissements humains est en grande partie l'histoire de la migration et de la halte de ces saints hommes. L'espace est avant tout le théâtre de scènes s'étant déroulées il y a longtemps. La trace de ces passages du saint, ce condensé de mémoire et d'espérance, relie un territoire à une origine. Ainsi s’opère la sanctification du lieu. Elle passe par une relation directe avec l'Orient mythique d’où proviendrait le saint Patron, ou vers lequel il irait. L'histoire/légende de la fondation, gorge les lieux de sacré, en reprenant un thème biblique ou coranique connu, faisant du lieu un site d'élection. A Timimoun, les légendes n'ont pas hésité à faire faire au Prophôte un détour par la zâwiya de Sîd al Hâj Balqâsam.

Plus que des lieux de mémoire, ces endroits se transforment alors en sites de promesses pour des futurs possibles. Leur mise en scène périodique n'est qu'une façon de rejouer l'acte premier; celui qui a fait d'un site, le théâtre d'un futur meilleur. Que ce soit à Kenadsa ou à Timimoun, les lieux sont toujours évoqués comme le théâtre d'une origine avérée prometteuse.

Les travaux de Halbwachs l’ont suffisamment bien montré: mémoire et espace sont liés. Sa topographielégendaire... illustre magistralement les processus par lesquels le sacré s'investit dans l'espace grâce aux "arrangements" qu’introduit la mémoire.

Le lieu est le témoin d'un passé commémorable et la promesse d'un futur admirable. Zaouiet Sid El Hadj Belqacem a déjà été le théâtre d'une réconciliation salutaire. Y revenir c'est se remémorer dans l’espoir du renouvellement de la grâce première, celle qui, jadis, a permis un futur meilleur. Lorsque les croyances viennent ajouter aux premières motivations des raisons supplémentaires, cet espoir décuple et le lieu s’affirme comme espace sacré. C’est dans cet esprit que Van der Leuw disait: “Est espace sacré un lieu qui devient un emplacement lorsque l'effet de la puissance s'y reproduit ou y est renouvelé par l'homme” 32

Les lieux que traverse la fête sont des sortes de "centres totémiques" qui tel le temps sacré, réalisent la synthèse entre le quotidien et le "tout autre".

Lieu d'origine, en tant que scène première où s'est déroulé le mythe fondateur, il devient lieu de répétition, de célébration sacralisée en tant que scène mythique, il est consacré par chaque célébration qui renforce davantage son caractère numineux. Ces endroits sollicités comme ciment vertical et horizontal, relient à l'ancêtre, premier habitant, et à son territoire environnant. En effet, pour nous ces espaces sont sacrés, dès lors qu'ils sont sollicités périodiquement comme lieux mythiques, théâtre d'une dramatisation.

Cependant, la sacralité semble être plus forte, plus puissante et plus fatale dans l’inhabité. Un tel espace, par opposition à celui habité, demeure hostile et terrifiant. Parce que non “domestiqué”, son sacré est un sacré terrible (pétrification, vipère etc.) C’est une puissance redoutable. Comme si le noyau dur du sacré se trouve au cœur de l’espace inhabité dont le saint homme arrache quelques portions pour en faire des lieux propices aux attentes des hommes.





1 C’est grâce à la fête que le petit ksar de Massine s’est vu désenclavé en priorité, par une route goudronnée ; mais, c’est justement cette route qui risque d’accélérer la dénaturation de la fête et son étatisation. Le mawlid de 1992 a été faussé par une forte présence de l’Etat. Plusieurs ministres et officiels sont venus y assister.


2 M. Halbwachs, La topograpie légendaire des évangiles, p.124.


3 C’est la traduction d’un vers d’une poésie populaire chantée en l’honneur du saint de Kenadsa (Trîgak harsha b`îda hattâ al-mâ’ mâ kân)


4 Au Gourara, A.Boualga nous donne une liste exhaustive des livres qui existaient dans la bibliothque de la zâwiya de Melouka dans le Touat. Aujourd'hui encore, l'histoire de la région est entre les murs de la zâwiya de Sîd al-Bakrî à Tamentit. Hélas, il n'y a plus aucune trace, aujourd'hui, des nombreux ouvrages de hadîth et de commentaires (hawâshî) ; ni de ceux de l'exégèse (tafsîr ), de la tradition prophètique (sîra), de la mystique (taçawwuf), du droit (fiqh) et de la grammaire(nahw) qui étaient enseignés à Kenadsa (Voir Merzak, thèse, pp. 189-196), et ailleurs.


5 Une telle fête s'apparente beaucoup à celle étudiée par A. Hammoudi dans La victime et ses masques. Moins souvent joué depuis quelques années, barkâyashshû mérite néanmoins une étude à part.


6 T. Fahd, Le panthéon arabe avant l’islam.


7 Voir R. Bellil, “Migrations et évolution de deux qsur du Gourara: At Saïd et Timimoun.”


8 Les trois notions sont empruntées au vocabulaire de H. Corbin, L’imagination créatrice dans le soufisme, p.12.


9 Le Coran, quand il parle du sacré emploie plutôt la racine hrm (plus de 80 occurences) au lieu de celle de qds qui n’apparaît qu’une dizaine de fois. Il s’agit de distinguer haram (sacré) de harâm (interdit). Une de ses occrences coraniques se trouve dans l'expression al-bayt al-muharram (le temple sacré) Coran, XIV, 37


10 Ibn az-Zayyât, at-tashawwuf ilâ rijâl at-taçawwuf


11 Voir H. Ferhat, Les siècles de la foi.


12 Sur cette notion, voir P. Brown La sainteté et le sacré dans l’antiquité tradive


13 Voir à ce propos M. Chodkiewicz, Le sceau des saints , notamment les pp 29-78.


14 Voir à ce sujet E. Dermenghem, Vies des saints musulmans, p.369.


15 Le monde de l’imaginal (`âlam l-mithal), c’est quelque chose de différent du monde de la perception sensible ou de l’intuition intellectuelle ; c’est la puissance imaginative qui est, évidemment, différente de l’imagination. Voir à ce propos H. Corbin, Face de Dieu, face de l’Homme, pp.15-16.


16 Voir A. Sebti Hagiographie du voyage au Maroc médiéval,p 171


17 Les saints sont parfois désigés par l’expression “ Ahl al-khutwa” ou “ ashâb al-khutwa ”, les gens de la foulée, sous entendu exceptionnelle


18 A la même page A. Sebti explicite son idée: “On fait ses adieux à sa parenté et à son pays comme on le fait au monde d’ici bas. La monture du voyage est une réplique du cortège des funérailles. L’épreuve des brigands rappelle les questions de Munkir et Nakir. Les lions du désert préfigurent les vers de la tombe. La souffrance de l’éxil ressemble à la solitide de la tombe. Et l’habit de l’ihrâm est l’équivalent du linceul” A. Sebti, “Hagiographie (...)”, p. 171.


19 L.Mumford, La cité à travers l’histoire, p.13.


20 Pierre Deffontaines,Géographie des religions, p.52.


21 Voir Lane et al-Baydâwî II,7.


22 Voir al-Mas`ûdî, Murûj ad-dahab, chap. 52, III, 347


23 voir al-Baydâwî, commentaire du Coran, LXXII,1


24 Voir Coran XXXVII, 158 et autres occurences.


25 Voir ar-Râzî, mafâtih, Caire 1307,I, 288 sv


26 Voir Badra ad -Dîn al-Shiblî, Aqâm al-murjân fî ahkâm al-jân.


27 Voir al-Qazwîni Zakâriya `ajâ’ib al-makhlûqât wa ghrâ’ib al-mawjûdât


28 Voir à ce propos l’excellent ouvrage de Mary Douglas, De la souillure. L’auteur montre bien que La notion de souillure associée à la saleté relève plus d’une classification topologique que d’une classification hygiénique.


29 Voir plus haut Le mawlid de Kenadsa.


30 Fasûkh provient du radical FSKH, enlever, dépouiller. C’est en effet, une boule d’aromates destinée à neutraliser les enchantements (à les enlever).


31 A ce niveau il nous semble qu’une telle distinction salée non salée n’est pas topujours nettement établie. On continue à croire que les jnûn mangent avec nous. On dit bismilâh pour les chasser. On leur laisse des restes de repas, dans les ustensiles qu’on ne lave pas le soir, en général.


32 VAn der Leuw, La religion dans son essence et ses manifestations, p.386 .


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